Article Medium 4M PARIS 04/2016

Les femmes à la tête des médias numériques au #4MPARIS

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Les 20 et 21 avril 2016, les rencontres du 4M ont réuni à Paris plus de 200 acteurs influents des médias en ligne et de la société civile, des zones hors Europe et Amérique. Ils y ont échangé autour de l’engagement citoyen à travers les médias numériques. L’occasion de débattre aussi sur la place des femmes dans ces nouveaux médias.

Un homme se lève dans le théâtre de la Maison des Métallos. Il s’adresse à Lina Attalah, co-fondatrice et rédactrice en chef du média égyptien Mada Masr, unique intervenante féminine sur scène pour le premier débat : “Vous êtes la seule femme dans un panel de 6 personnes. Est-ce le reflet de la société civile ?” Cette simple question soulève une problématique bien plus vaste, celle de la représentativité des femmes dans la presse. Il est vrai que les intervenantes représentent moins d’un tiers des 200 acteurs des médias, venus de 38 pays différents aux rencontres 4M Paris

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Parmi elles, Lina Attalah ; Maria Ressa, co-fondatrice et rédactrice en chef de Rappler aux Philippines ; Liana Sayadyan, rédactrice en chef adjointe du média arménien Hetq.am et Micheline Tobia, co-fondatrice de Mashallah News au Liban. Ces journalistes reconnues, à la tête de médias numériques, partagent leur expérience et témoignent du statut des femmes dans les médias de leurs pays respectifs.

Sexisme ordinaire

Premier constat : Si elles ont atteint aujourd’hui des positions de direction ou fondé leur propre média, elles ont quasiment toutes été confrontées à différentes manifestations de sexisme. Comme l’exprime Liana Sayadyan :

“En tant que journaliste d’investigation, c’est difficile car les sources arméniennes, notamment officielles, préfèrent se confier à des journalistes hommes. Mais si on est courageuse ou que notre signature journalistique est reconnue, on peut y arriver.”

Même si elle n’y a pas été directement confrontée, Micheline Tobia a pu souvent observer le sexisme ordinaire avec lequel les hommes s’adressent à leurs consœurs, surtout si elles sont jeunes. Au sein de la rédaction de Mashallah News, où les femmes sont en supériorité numérique, “la question ne s’est jamais posée, il y a beaucoup de respect mutuel”, souligne-t-elle.

“ Les intervenants masculins s’adressent aux femmes en disant : ‘ma chérie, ma jolie, ma mignonne’… ”

Contre toute attente, ce ne sont pas les agressions de femmes journalistes sur la place Tarhir que retient Lina Attalah pour évoquer les difficultés professionnelles rencontrées. Selon elle, le risque de subir une agression est commun à tous les journalistes égyptiens quel que soit leur sexe. Elle évoque davantage la difficulté pour les femmes et les jeunes journalistes d’être pris au sérieux par les rédacteurs en chefs masculins et seniors.

“ Souvent, je proposais des sujets aux rédacteurs qui n’écoutaient pas…”

Féminisation de la profession

Aux Philippines, en Arménie, au Liban et en Egypte, le journalisme s’ouvre largement aux femmes. Parfois pour de simples raisons économiques : les salaires peu élevés du secteur favorisent la féminisation de la profession.

Ce que confirme Maria Ressa, première femme à avoir été nommée chef de bureau en Asie du Sud Est par CNN :

“ J’étais jeune et femme : ils m’ont prise car j’étais peu chère ! “

En Arménie aussi, conséquence de la crise qui a suivi la chute du communisme, “le journalisme est devenu une profession mal payée, que les hommes ont délaissé. Les femmes ont rempli cette place”, explique Liana Sayadan.

Souvent, la place des femmes dans le journalisme est corrélée à celle qu’elles occupent dans la société. “Au Liban, les femmes ont toujours joué un rôle central dans la vie civile, et donc pu investir le journalisme. Le printemps arabe a accentué la prise de parole des femmes et des jeunes”, expose Micheline Tobia.

Lina Attalah observe un début de changement en Egypte :

Il y a de plus en plus de femmes journalistes, elles commencent à prendre des positions de leadership dans les nouveaux médias qui se créent et partagent nos valeurs.”

Des plafonds de verre

En termes de progression de carrière et de salaires, les situations sont plus disparates. Lyana Sayadan constate :

En Arménie, où la culture est encore fortement patriarcale, presque tous les postes de rédacteurs en chef dans les chaines TV ou la presse écrite sont détenus par les hommes.

Elle ajoute aussitôt : “Mais leurs adjointes sont toutes des femmes et les équipes sont essentiellement féminines, comme c’est le cas à Hetq.am.

L’accès des journalistes égyptiennes aux postes de direction ou de rédacteur en chef est encore difficile, mais Lina Attalah n’a pas vécu cette difficulté. Elle a occupé un poste de rédactrice en chef dans un média “dont l’administration était progressiste”, avant de fonder Mada Masr. À travers ce média indépendant, composé à 60% de femmes, elle a aussi voulu prouver que celles-ci pouvaient s’épanouir professionnellement.

“ En créant Mada Masr, le but était aussi de créer une parité “

À l’inverse, au Liban et aux Philippines, les femmes semblent accéder plus facilement aux postes de direction dans les médias.

“Au Liban, les femmes journalistes sont en général très respectées, certaines sont de véritables superstars de l’information”, souligne Micheline Tobia. Malgré cela, elle déplore que les libanaises soient beaucoup moins payées que leurs homologues masculins, dans le journalisme comme dans l’ensemble des métiers. “Mais pas au sein de Mashallah News où la question ne se pose même pas !”, insiste-t-elle.

Les journalistes philippines ont également accès aux fonctions hiérarchiquement élevées dans leur pays. “Les femmes sont fortes, elles occupent des postes de rédactrices en chef dans la plupart des groupes médias”, explique Maria Ressa. Selon elle, les opportunités de carrière y sont équivalentes pour hommes et femmes. Elle en plaisante même :

“ En fondant Rappler, j’ai dû veiller à embaucher des hommes “

“Les femmes voient d’autres angles que les hommes”

Plus sensibles, à l’écoute des autres ou encore davantage dans l’émotion : la société patriarcale a attribué aux femmes ces traits de caractère spécifiques. Ces particularités, considérées comme intrinsèques aux femmes, influent-elles sur la façon d’appréhender le métier de journaliste ?

Pour Liana Sayadyan, cela ne fait aucun doute :

“Les femmes voient d’autres angles que les hommes dans les sujets, elles sont plus attentives aux détails, font davantage confiance à leur intuition… Les sujets préparés par les femmes sont plus émotionnels.”

De manière générale, les femmes journalistes auraient tendance à traiter des sujets par lesquels elles se sentent concernés, et qui seraient bien souvent délaissés par la profession. Micheline Tobia confirme :

En tant que femme, je suis plus intéressée de couvrir des sujets sur les manifestations féministes ou de lutte contre le harcèlement.”

“ Violences conjugales, sort des femmes réfugiées… On se sent plus concernées par certains sujets, plus en danger aussi peut être… “

Toutefois, le principe selon lequel il existe une manière propre aux journalistes femmes d’appréhender l’information doit être nuancé. Si Lina Attalah personnifie son média au féminin : “lorsque je parle de Mada Masr, je dis elle, c’est une intuition”, au-delà des différences entre les hommes et les femmes, la journaliste s’en remet aux sensibilités de chacun dans sa façon de traiter un sujet. Elle se refuse à intellectualiser une différence genrée dans la façon d’exercer le métier.

Certaines journalistes, comme Maria Ressa, parviennent à faire des spécificités attribuées à leur féminité un avantage. Selon elle :

les femmes négocient davantage, elles sont plus flexibles face aux situations de conflit et recherchent le compromis”, et d’ajouter : “C’est une grande qualité pour un journaliste.”

“ Nous sommes meilleures dans les gris, la nuance”

Le numérique a libéré la parole des femmes

Les médias numériques et les réseaux sociaux ont révolutionné le secteur. La manière de s’informer mais surtout de s’exprimer a totalement été revue. Depuis le Printemps arabe en 2011, des pays comme l’Egypte ou le Liban ont vu leur citoyens clamer leurs revendications et se battre pour leur liberté d’expression. De nombreux blogs, pure players et sites en ligne rattachés ou non aux médias traditionnels ont ainsi vu le jour. Les femmes ont saisi l’opportunité de faire entendre leurs voix sur ces nouveaux supports.

En Egypte, comme l’explique Lina Attalah :

“Ces technologies démocratisantes ont permis aux personnes en marge de la société de s’exprimer davantage, donc aux femmes et aux minorités religieuses et ethniques. Internet a ouvert un espace pour partager leurs histoires sensibles, qui n’étaient pas couvertes auparavant et dont elles n’osaient pas parler.”

En Arménie, “les intérêts politiques et économiques liés aux médias traditionnels entraînaient des limites à la liberté d’expression, des sujets n’étaient pas traités, d’autres étaient tabous”, raconte Liana Sayadian. Les nouveaux médias en ligne ne seraient pas soumis à ces contraintes et permettraient une prise de parole différente.

“ Les médias en ligne sont plus libres”

De son côté, Maria Ressa exprime avec enthousiasme que :

le digital nous donnera davantage de pouvoir.”

Désormais, les femmes jouissent d’une plus grande liberté de parole pour peu qu’elles “osent se lancer, n’aient pas peur de s’imposer et de donner leur point de vue”, conclut Micheline Tobia.

Article et interviews par Pauline Hélari, Victoria Ouicher et Vanessa Schoonmann.


 

Je suis une journaliste rédactrice en recherche active de piges et d'emploi. Ce blog vous propose d'accéder à une sélection de travaux (articles et vidéos) réalisés pendant mon stage de fin de MBA et tout au long de mon année de MBA Journalisme et Médias Digitaux, option audiovisuel, à l'EFJ Levallois. N'hésitez pas à me contacter.