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Pourquoi éliminer le starets tsar ?

Grigori Raspoutine, le « moine fou », est un être humain dont la légende continue de faire parler d’elle, y compris en-dehors des frontières russes. 

Était-ce, comme l’ont prétendu certains, un espion ? Ou bien son influence sur la famille impériale était-elle le déclencheur du complot ourdit par le prince Felix Ioussoupov ? A l’occasion du centenaire de son assassinat, penchons-nous sur ce personnage et le complot qui mena à sa mort.

Qui était Grigori Efimovitch Raspoutine, avant d’être Raspoutine ?

Difficile de ne pas savoir qui il fut lors des dernières années de sa vie. La mainmise du moine sur la famille tsariste est aujourd’hui bien connue, et à l’époque sa présence était des plus pesantes au sein de la cour de St-Petersbourg. Mais son histoire, avant son arrivée au Palais Alexandre, est assez peu connue.

Selon toute vraisemblance, il s’agissait d’un moujik sibérien, vivant dans la partie orientale de cette région et marié, ayant eu cinq enfants avec sa femme : Mikhail et Georguiï (tous deux décédés en bas âge), ainsi que Maria, Varvara et Dimitri.

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Raspoutine entouré de ses enfants

Tout débuta quand le jeune Grigori Raspoutine, vers ses seize ans, eut la vision d’un ange, dans la campagne sibérienne. Il devint par la suite un assidu lecteur de la Bible, tout en alternant des périodes d’ascétisme et de frénésie sexuelle. En 1894 (il a alors environ 25 ans), le starets fait face à une apparition mariale, à la suite de laquelle il entame un long voyage de plus de dix mois, en direction du Mont Athos, en Grèce, sur lequel sont érigés près d’une vingtaine de monastères orthodoxes. Il reviendra chez lui deux ans plus tard, après avoir fait de nombreuses haltes dans divers monastères sur le chemin du retour.

Suite à cela débute une vie d’errances et de pèlerinages, durant lesquels certains supposent qu’il prit contact avec la secte des khlysty (les flagellants). Ces derniers, à la base un groupuscule religieux rejetant l’Eglise orthodoxe officielle, prônaient la victoire sur le péché par le péché, la débauche devenant ainsi un mal nécessaire afin de marcher sur le chemin de la rédemption. La prise de contact entre Raspoutine et cette secte n’est pas avérée, même si le starets prêchait durant son sacerdoce pétersbourgeois quelques préceptes proches des croyances khlysty.

Il fut remarqué à Kiev, par la grande-duchesse Militza de Monténégro, qui l’invita à Saint-Pétersbourg en 1903 (son arrivée dans la capitale eut lieu au printemps 1904), où il fit la rencontre d’Anna Vyrouvbova, la demoiselle d’honneur de la tsarine. A noter qu’un an auparavant, durant son voyage en direction de la capitale, il prédit la naissance du futur tsarévitch Alexis, lors d’une transe le prenant durant la canonisation de Séraphin de Sarov, l’un des saints des plus populaires de l’Eglise orthodoxe.

C’est en 1905 qu’il fit la rencontre de la famille du tsar, et fait immédiatement preuve de ses talents en matière de guérison pratiquement surnaturelle, puisqu’il parvient à améliorer la santé du jeune tsarévitch, même par téléphone !

Notons toutefois que l’un des traits du starets des plus frappant est sans nul doute son regard, un regard pénétrant qui, même capturé par la magie de la photographie, semble, à l’instar de celui de Mona Lisa, suivre son vis-à-vis, où qu’il se situe.

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A ce sujet, l’ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, Maurice Paléologue, témoignera de l’intensité de son regard de la façon suivante :

« C’était un regard à la fois pénétrant et rassurant, naïf et malin, fixe et lointain. Mais lorsque son discours s’enhardissait, un magnétisme incontestable s’échappait de ses pupilles. »

Un homme plébiscité

Ironie de la chose, Raspoutine était fort apprécié de pratiquement toutes les factions existant dans la Russie tsariste, ses assassins et une partie de la noblesse exceptés.

Les popes voient en lui le moyen d’échapper au synode sous tutelle de l’Etat instauré par Pierre le Grand en 1721, pour revenir au patriarcat tel qu’il était organisé auparavant, tout en espérant que ce starets pratiquement illettré permette au tsar de comprendre quelles sont les difficultés que traverse le peuple, et en particulier les moujiks.

Les milieux culturels et intellectuels fortunés pétersbourgeois, férus de spiritisme, occultisme et autres pratiques magiques, le voient comme le starets parfait : un homme du peuple doué d’une sagesse, voire de pouvoirs pratiquement divins. Aux yeux de la famille du tsar, c’est un ange noir qui sauve leur fils, atteint d’hémophilie, ou du moins le soulage de ses pires douleurs, même par téléphone !

Enfin, les bolcheviques eux-mêmes apprécient de savoir qu’un homme tel que lui est proche du pouvoir, soupçonné par certains d’être proche de la secte des khlysty. En effet, ces derniers sont, selon les mots de Vladimir Bontch-Brouevitch, le secrétaire de Lenine, des « ennemis farouches de tout ce qui émane des autorités [… et avec lesquels] un rapprochement tactique [serait fort avantageux] ».
Les sectes auront grandement participé à la propagande bolchevique, en faisant passer près de quatre tonnes de littérature de propagande en Russie.
Quant au personnage en lui-même, il est vu par les bolcheviques comme un héro, surnommé « Gricha », qui est, selon les mots d’Eugène Zamiatine (écrivain satirique) leur « compère qui est au pouvoir« . Du moins… Jusqu’à son trépas.

La mainmise du moine

Un poids pesant sur la Russie, c’était ainsi qu’il était toutefois vu par une partie de l’élite moscovite. Grigori Raspoutine et sa façon toujours plus insistante de se montrer indispensable auprès de la tsarine dérangeait. Indispensable car, semblait-il, seul capable de soigner le jeune tsarevitch Alexis, souffrant d’hémophilie.
Histoire de minimiser ses capacités, il est bon de rappeler que les curateurs de la cour voyaient en l’aspirine une véritable panacée, tout en ignorant, non pas à dessein semble-t-il, son effet anti-coagulant, donc aggravant dans le traitement des cas d’hémophilie.

Toutefois, le véritable poids de Raspoutine sur la politique russe n’est visible qu’à compter d’août 1915. A partir de ce mois-ci, le gouvernement intérieur est conféré à la tsarine par son époux. Hors, Raspoutine lui rend quotidiennement visite et lui prodigue de nombreux conseils. La tsarine lui fait tant confiance qu’elle le laisse s’occuper d’affaires sensibles, voire de questions concernant l’Empire. Il fait et défait ministres, conseillers et généraux, au point qu’au moment de son assassinat, il semblait impossible de savoir qui dirigeait l’Empire Russe : le tsar, ou le starets ?

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Raspoutine, la tsarine et la confidente de cette dernière

Avant son meurtre, tout avait été fait pour éloigner Raspoutine de la famille impériale, y compris relater les secrets de Polichinelle courant sur sa personne : sa débauche exacerbée, les nombreux scandales l’entourant et bien entendu, son alcoolisme. Rien n’y fait, et les personnes qui se plaignent de lui à la tsarine sont écartées de la cour, rejetées. En effet, le starets avait assuré à cette dernière qu’il était capable de prendre sur lui les péchés de l’humanité et à s’en purifier grâce la débauche, rejoignant en cela les croyances khlysty, renforçant les rumeurs courant sur son appartenance à cette secte.

Une présence gênante autant qu’effrayante

Son influence est telle qu’il effraie les forces membres de la Triple Entente, qui le perçoivent comme un espion à la solde des Allemands. Leur grande crainte est qu’il parvienne à faire retirer les troupes russes du Front de l’Est, ce qui laisserait aux Allemands la possibilité de concentrer toutes ses forces sur l’Ouest.

En effet, et avant même l’entrée en guerre de la Russie, Raspoutine était la voix du pacifisme. Il redoutait notamment une intervention militaire, qui verrait l’Etat réquisitionner les récoltes des paysans. De plus, alors que les Juifs étaient les coupables désignés des défaites de l’armée impériales, considérés comme « des Allemands de l’intérieur », et faisaient l’objets d’une nouvelle chasse aux Juifs, il intervient auprès du tsar afin de faire cesser les persécutions.

Mais c’est surtout les rumeurs courant sur sa prétendue appartenance, ou sa manipulation par l’Allemagne qui faisaient frémir ses détracteurs. De sa position auprès de la tsarine, il pouvait servir d’intermédiaire entre elle et l’Empire allemand. Couplé à ses dons en matière d’hypnose, il était un danger potentiel aux yeux des forces de la Triple Entente.

C’est une des raisons qui expliqueraient pourquoi Oswald Rayner, officier au SIS, se trouvait sur place lors de l’assassinat de Raspoutine : s’assurer que ce dernier ne causera plus de problèmes à la Triple Entente.  Certains ont même suggéré que Felix Ioussoupov était lui aussi un agent des britanniques, laissant entendre que le complot avait été dirigé depuis la Grande Bretagne.

La dernière nuit de Raspoutine

Il est onze heure quand, au Palais Ioussoupof, les préparatifs des conjurés s’achèvent. Le lieutenant Soukhotine, le grand-duc Dimitri Pavlovitch, le député Pourikevitch, le docteur Stanislas Lazovert et Oswald Rayner (dont la participation au complot fut gardée secrète à l’époque) montent à l’étage et diffusent une musique enjouée : Raspoutine est attiré au Palais Ioussoupof par le prince homonyme qui, jouant sur l’appétit sexuel quelque peu dévorant du starets, lui avait fait miroiter une entrevue avec sa propre épouse (qui se trouvait en réalité en Crimée au moment des faits), Irina Alexandrovna.

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Irina Alexandrovna en 1913

Cette dernière était supposée être retenue par des invités, à l’étage, d’où la musique et un restant de festin  au sous-sol, afin que Raspoutine ne se doute de rien. Sur la table sont disposés ses gateaux favoris, dont une partie fut empoisonnée au préalable au cyanure de potassium, et du vin, empoisonné lui aussi.
A minuit et demie, Ioussoupof vient chercher sa victime et l’emmène en grand secret dans son palais : l’entrevue entre Raspoutine et Irina doit absolument être couverte par le sceau du secret.

Le starets, conduit par son hôte, entre dans le palais et est invité à se rafraîchir. Raspoutine rechigne au départ, arguant que « les gâteaux et le vin sont trop sucrés », avant de céder de son propre chef. Le cyanure de potassium est un poison violent, pratiquement instantané et le docteur Lazovert avait assuré qu’il avait injecté dans les pâtisseries une dose capable de tuer un éléphant. Raspoutine boit et mange, sans sembler affecté d’une quelconque façon. Avisant une guitare, posée contre un coin de la pièce, il demande à Ioussoupov d’en jouer pour lui. A 2h30, le prince va rejoindre ses complices, prétextant aller chercher son épouse. En lieu et place, il emprunte le revolver du grand-duc Dimitri et retourne abattre le starets, d’un tir à bout portant.

Ses complices viennent, Raspoutine est au sol, agité de violents spasmes. La crise prend fin, Lazovert prend le pouls et annonce que la balle a traversé le coeur. Raspoutine est mort, les conjurés remontent à l’étage afin de discuter de l’avenir de la Russie. Malgré cela, Ioussoupov est inquiet. Il redescend, prend le pouls du starets. Ce dernier ouvre un œil et se jette sur son assassin, tentant de l’étrangler. Le prince parvient à se défaire de son assaillant et prévient les autres conjurés, tandis que ce dernier, en rampant misérablement, parvient à atteindre la porte donnant sur la cour du palais, et à l’ouvrir, avant de s’enfuir. Pourikevitch le poursuit et lui tire dessus à quatre reprises, mais seules les deux dernières parviennent à leur cible. Le starets titube quelques instants et s’écroule.

Selon toute vraisemblance, Oswald Rayner s’approche à son tour et tire dans le front de Raspoutine, à bout portant. Les conjurés lui remettent les chaussures aux pieds et l’enveloppent dans son manteau, puis, Serguei Soukhotine et Dimitri Pavlovitch le portent jusqu’à l’ile Petrovski. Là, ils le jettent dans un trou pratiqué dans la glace, pendant que le prince Ioussoupov et Pourikevitch, au palais, font disparaître toute trace de l’événement.

Le corps de Raspoutine, après avoir passé trois jours dans les eaux de la Neva.
Le corps de Raspoutine, une fois sorti de la Neva.

Son corps sera retrouvé trois jours plus tard et autopsié très rapidement. Le rapport d’autopsie n’a jamais été publié, toutefois, des éléments obtenus par les témoignages des personnes l’ayant consulté laissent à supposer que l’impact des balles fut mortel, contrairement à la croyance populaire selon laquelle Raspoutine périt noyé. Il s’agit d’un mythe tenace, né après la supposée découverte d’eau dans les poumons du starets lors de l’autopsie.

Il est difficile de savoir s’il possédait réellement ses prétendus pouvoirs mystiques, ces derniers n’apparaissant guère à l’autopsie, mais sa menace à l’encontre de la famille Romanov, qu’elle soit fictive ou réelle, a porté ses fruits : deux mois plus tard, la Russie tombait dans les mains des bolcheviques.

L’héritage de Raspoutine

Etant donné l’influence du starets, et sa place au sein de la famille du tsar, l’histoire ne l’oublia pas, et sa légende a durablement marqué la culture mondiale.
Dès 1917, Herbert Brenon réalise un film sobrement intitulé La Chute des Romanoffs, et qui est considéré comme étant le premier film traitant de la Révolution russe.

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On peut compter plus de vingt-cinq productions cinématographiques et télévisuelles le mettant en scène. Les groupes de musiques s’emparent eux aussi du personnage, l’un des titres des plus connu étant Rasputin, de Boney M, qui porte foi aux rumeurs (infondées) d’une liaison entre le starets et la tsarine.

La littérature et les jeux vidéos le mirent aussi en scène, le dépeignant assez souvent comme un personnage machiavélique et manipulateur.

Toutefois, il est aussi connu pour sa prophétie à l’intention du tsar, contenue dans une lettre dictée quelque temps avant sa mort :

« […] Je laisse derrière moi cette lettre à Saint-Pétersbourg. Je sens qu’avant le 1er janvier je ne serais plus de ce monde. Je voudrais faire savoir au peuple russe, à Papa et à la Mère des Russes (le couple tsariste, NDLA), aux enfants, à la terre de Russie ce qu’ils doivent comprendre. Si je suis tué par des assassins communs, et en particulier par mes frères les paysans, toi, tsar de Russie, ne crains rien, demeure sur ton trône et gouverne, et toi, tsar de Russie, tu n’auras rien à redouter pour tes enfants, car ils régneront durant des siècles sur la Russie. Mais je suis mis à mort par des boyards ou des nobles, et s’ils font couler mon sang, leurs mains demeureront à jamais souillées, et durant vingt-cinq ans, ils ne parviendront pas à le faire disparaître.  Ils quitteront la Russie. Les frères tueront les frères, ils se haïront l’un et l’autre et, durant vingt-cinq ans, il n’y aura plus de nobles dans ce pays. Tsar de la terre de Russie, si tu entends le son du glas qui t’avertira que Grigori a été tué, sache cela : si ce sont tes parents qui ont préparé ma mort, alors aucun membre de ta famille, c’est-à-dire aucun de tes enfants ou de tes parents ne survivra plus de deux. Ils seront tués par le peuple russe. »

Sa prédiction se réalisera : dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, sur ordre de Iakov Sverdlov, Iakov Iourousky, leur geôlier, exécute la famille Romanov et leurs quatre serviteurs, à savoir Anna Demidova (femme de chambre), Ivan Kharitonov,  (cuisinier), Evgueni Sergueïevitch Botkine (médecin) et Alekseï Egorovith Trupp (valet de pied).

Antoine Barré

Adieu aux Frères Jacques

Dimanche midi, je me balade sur Twitter (une fois n’est pas coutume). Je vois une Tendance « Frères Jacques« . Intrigué, et amateur de leurs nombreuses chansons et interprétations, je clique sur le lien, pour découvrir que Paul Tourenne, le dernier membre du groupe, s’est éteint aujourd’hui à Montréal.

Je l’avoue, je suis ému. Une boule me remonte dans la gorge, tandis que je vérifie s’il s’agit d’un hoax ou d’une véritable nouvelle. Pas de chance, c’est vrai. Il s’agit d’un quatuor dont j’ai assez souvent entendu parler dans ma (courte) vie, notamment grâce à mes grands-parents maternels, qui appréciaient grandement leurs chansons et interprétations, et ont su transmettre cette passion à leurs enfants et à leurs petits-enfants.

Ce quatuor vocal (accompagné de deux pianistes, successivement Pierre Philippe et Hubert Degex) traversait le répertoire chansonnier français avec une certaine aisance, allant de la chanson traditionnelle à celles faisant perler des larmes aux coins des yeux, en passant par la satire, la chanson paillarde et la poésie.

Que l’on soit amateur de hip-hop, de rock, de pop music, de metal ou de dubstep, on ne peut rester insensible face aux vers de ces artistes. D’une façon ou d’une autre, ils parviennent, à travers leurs textes, à nous interpeller, à nous faire rire, pleurer, à nous détendre. L’espace de quelques minutes, ils nous font oublier notre quotidien, nous offrent la possibilité de s’évader quelques instants, loin des innombrables tracas qui nous entourent.

Il me serait difficile de donner leur entière discographie. j’ai donc préféré faire une sélection de leurs chansons me touchant le plus, en espérant que ces dernières vous plairont autant qu’à moi.

La Lune est morte

Parmi les nombreuses comptines ayant bercé mon enfance, je compte notamment « Au Clair de la Lune ». A l’époque, pour une raison ou pour une autre, je supposais que celui demandant une plume à son ami Pierrot cherchait à écrire une lettre à l’astre lunaire pour lui déclarer sa flamme.

Peut-être est-ce pour cela que cette chanson m’émeut : parce que, dans cette logique-ci, la Lune est morte avant d’avoir reçu la lettre, ou bien avant d’écrire une quelconque réponse. Une bien belle histoire histoire d’amour inachevée.

Barbara

Mélancolique, écrite un an après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qui traite de l’absurdité de la guerre, des ravages qu’elle provoque mais aussi posant une juste question : l’amour peut-il survivre à la guerre ? L’homme serrant Barbara contre son sein vit-il ? Ou bien a-t-il disparu sous une bombe ? Barbara, ou celle qui l’inspira, a-t-elle pu entendre cette chanson ?

Autant de questions initialement posées par Jacques Prévert restant sans réponses…

Monsieur William

L’histoire d’un homme, pourtant bien sous tout rapports, qui se rend sur la Treizième Avenue afin d’y rencontrer… Une prostituée. La Treizième Avenue, à New-York, était sise sur les bords de l’Hudson. Il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui, si ce ne sont des parkings. Mais, à l’époque où l’histoire est supposée se dérouler, il est à penser qu’il s’agissait d’un lieu bien mal famé, où un employé modèle, du nom de Monsieur William, rencontra son destin face à un homme désirant la même femme que lui.

L’entrecôte

L’histoire, malheureusement aujourd’hui toujours d’actualité, d’une femme qui, afin de nourrir ses enfants, fait commerce de son corps.

Au fil de la chanson, on passe du mépris à la pitié pour cette femme qui, afin de permettre à sa famille de vivre (relativement) dignement, s’enfonce dans les tréfonds de la débauche. Un autre regard posé sur certaines de ces femmes de peines qui hantent toujours certaines de nos rues.

Le Poinçonneur des Lilas

Je la trouve, en fait, tragi-comique. D’un côté, le rythme est enjoué, entraînant et dansant, mais de l’autre, on nous conte l’histoire d’un pauvre employé de la RATP qui passe son temps à perforer des tickets, inlassablement, ne parlant que pour indiquer les directions aux voyageurs, rêvant d’une autre vie, loin de ces tunnels enténébrés, sombrant lentement dans la folie.

La queue du chat

Changement de registre ! Ici l’humour est à l’honneur. J’ai toujours tendance à penser que l’on en fait trop, au sujet du spiritisme, et écouter une chanson tourner cette pratique en ridicule m’a toujours fait rire.
Surtout quand on y ajoute un chat des plus affectifs et un esprit facétieux…

Shah Shah Shah

Difficile de déterminer quel est le plus drôle : l’histoire en elle-même, ou les facéties de Georges Bellec (justaucorps jaune). De plus, en creusant quelque peu, on peut lire entre les lignes une reprise de l’histoire de Midas, ce roi grec qui obtint de Dionysos (ou Bacchus) le don de transformer en or tout ce qu’il touchait. Ce qui provoqua son désespoir, tandis qu’il changeait en statue dorée sa fille, sa nourriture et son environnement.
Ici, ce Shah ne peut avoir d’eau car son royaume semble être littéralement construit sur une nappe de pétrole. Ce qui provoque sa fortune est aussi ce qui fait son malheur. Mais déclenche nos avalanches de rire.

Les catcheurs

On ne verra plus jamais le catch de la même façon… Quoi que cette chanson étant fort réaliste, je doute que cela change réellement la situation.

Les Fesses

Un hymne aux formes callipyges, peu importent à qui elles appartiennent. Et, dans une ère où les clips de pop-music se basent plus sur le rebond du fessier des danseuses que sur de véritables qualités musicales afin d’atteindre et battre des records de vente, il est agréable d’entendre cette petite satire.

Aujourd’hui, les membres du quartet (et Pierre Philippe, le premier pianiste ayant accompagné le groupe) ne sont plus. J’espère qu’ils se sont réunis là-haut, et qu’ils s’attellent à mettre de l’ambiance parmi les Anges.

Merci à vous, Frères Jacques, et adieu.

Antoine Barré

La dissection de la barbarie

Barbares : le retour n’est pas qu’une énième sonnette d’alarme tentant de nous avertir, nous pauvres Occidentaux, du danger du phénomène Daesh, loin de là.

Non, c’est beaucoup plus que cela, c’est un retour aux sources, à l’origine de la définition, ou DES définitions du mot « barbare », que nous propose Vincent Aucante dans son ouvrage.
10 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à cet ancien directeur culturel du Collège des Bernardins pour écrire son livre. Il ne s’agit pas d’un roman mais d’une courte « encyclopédie » sur un sujet d’actualité, tandis que la France fut encore endeuillée à deux reprises cet été, le soir du 14 juillet avec un « fou » chargeant la foule assemblée pour assister au feu d’artifice, au volant d’un camion, et le 26 juillet avec le meurtre du Père Hamel. Ce sujet, c’est la barbarie.

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Comment définir un barbare ?

C’est un des défis de ce livre, et de son auteur. Dans l’imaginaire collectif, le barbare, c’est celui qui affronte la civilisation et cherche à la mettre à bas au moyen de la violence. Notre histoire regorge d’exemple, allant du sac de Rome de 410, « supervisé » par Alaric 1er au régime nazi d’Adolf Hitler. Toujours dans l’imaginaire collectif, le barbare, c’est le primitif, celui qui, par manque d’éducation ou d’intelligence, va s’attaquer violemment à ce qu’il ne comprend pas.

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Pourtant, le barbare, ce n’est pas que cela. Le barbare était, au départ, celui qui était étranger à la civilisation grecque, sans pour autant montrer une quelconque hostilité envers cette dernière. Puis, au fil du temps, et des civilisations, les Grecs, et les Romains, se sont rendus compte qu’aux yeux d’autres civilisations, ils n’étaient que des barbares, puisqu’ils étaient extérieurs à ces mêmes civilisations.

Au fil des époques, différents peuples et civilisations se sont vues attribuer le sobriquet de « barbares », en fonction de la sensibilité du ou des pays les attribuant vis-à-vis de leurs « cibles », mais aussi des différences de cultures entre les différents protagonistes.

« La culture barbare ? Je ne savais même pas qu’il y en avait une… »

Oui, c’est sûrement ce que vous vous dites actuellement. Et pourtant… Oubliez Conan, oubliez le Barbare de Naheulbeuk ou de Diablo, car le vulgus pecus du barbare ne ressemble pas (trop) à une brute épaisse qui ne pense qu’avec ses muscles (le cerveau est un muscle, mais il est difficile de se servir de ce dernier pour tenir une lance et frapper son ennemi avec).

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Représentation moyenne du barbare en pleine réflexion

Les Mayas, par exemple, bien que considérés comme « barbares » par les conquistadors, ont eu une riche culture, principalement orale. De plus, une grande partie des civilisations dites « barbares » étaient à la « pointe du progrès », pour l’époque, notamment en matière de féminisme : les femmes guerrières, telles que les légendaires Amazones, voire les reines comme Boadicea, étaient en réalité nombreuses, et les femmes avaient un pied d’égalité avec les hommes… Quand elles n’étaient pas esclaves, s’entend.

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La barbarie de la culture

De plus, outre le barbare en terme de peuple, d’individus, ce livre a le mérite de nous parler des fort nombreux exemples où les civilisations (au sens où on l’entend, c’est à dire « des peuples évolués, démocratiques, etc…) ont cédé au chant des sirènes, et où les Etats ou les individus auront choisi de laisser la barbarie dicter leurs actes et leurs choix.

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Mais là où nous nous contenterions simplement d’observer à la loupe le nazisme ou le communisme tel qu’il fut mis en oeuvre en Chine et en URSS, Vincent Aucante nous fait voir d’autres mouvements du même acabit, parfois passés sous silence. La Révolution Française et le génocide vendéen (parfois relaté comme « des escarmouches contre des rebelles/des brigands vendéens » dans les cours d’Histoire…), le génocide rwandais, les révoltes juives du IIème siècle ou bien l’exploitation des « sous-hommes » par le biais de la prostitution, de la colonisation ou de l’esclavage, tout cela est minutieusement analysé, tout en donnant un résumé succinct des événements.

Quid de l’actualité ?

Une question que l’on peut se poser… Mais c’est en analysant tous les éléments exposés dans cet ouvrage que l’on peut comprendre cette nouvelle barbarie qu’est le terrorisme islamiste, en partant de ses origines, avec la vision pervertie de l’Islam qu’ont imposé de nombreux pays du Golfe qu’est le salafisme, aux différents moyens de résistances à notre disposition.

Le ton général du livre risque de heurter certains lecteurs ou lectrices, par sa brutalité et l’honnêteté de l’auteur à appeler un chat, un chat. Israël, le catholicisme, les Bédouins, tout le monde y passe, et c’est sans fard que ce livre, aisé à lire, se découvre à nous.

Barbares : le retour, écrit par Vincent Aucante et édité chez Desclée de Brouwer, 18€90 sur la Fnac.

Antoine Barré

Richard III, la meilleure création de Shakespeare ?

Richard III est un personnage machiavélique, cruel et détestable. Du moins, c’est ce que Shakespeare a tenté de nous présenter. Et, se faisant, il a sans doute créé un de ses meilleurs personnages, sinon le meilleur, le plus abouti.

Et bien quoi ? Roméo et Juliette ? Mièvre à souhait. Quant à Macbeth et Hamlet ? Ils ne dépareraient pas dans un épisode de Game of Thrones (remarquez, comme Richard III, mais on y reviendra.), pour autant, il leur manque un petit quelque chose. Le Viol de Lucrèce ? Ce poème est magnifique et très bien écrit par ailleurs, et relate ce qui provoqua la chute de la monarchie romaine, c’est à dire le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin, fils de Tarquin le Magnifique si j’en crois mes souvenirs de cours de latin.

Mais Richard III… Comment vous dire…
En fait, la pièce entière est un synopsis de GRR Martin, entre le meurtre commandité de son frère, celui de ses deux neveux, la mise à mort de l’ancien chambellan du roi (qui l’avait pourtant soutenu) et celles de nombreux de ses anciens soutiens, suivi par une sorte de semi-inceste puisqu’il cherche à épouser sa propre nièce pour asseoir son pouvoir… On voit que le type est un salaud complet. Sauf que… Par rapport aux autres personnages de Shakespeare, non seulement il le sait, mais il s’en réjouit, comme preuve un passage de son monologue marquant le début de la pièce :

Mais moi qui ne suis pas formé pour ces jeux folâtres,
ni pour faire les yeux doux à un miroir amoureux,
moi qui suis rudement taillé et qui n’ai pas la majesté de l’amour
pour me pavaner devant une nymphe aux coquettes allures,
moi en qui est tronquée toute noble proportion,
moi que la nature décevante a frustré de ses attraits,
moi qu’elle a envoyé avant le temps
dans le monde des vivants, difforme, inachevé,
tout au plus à moitié fini,
tellement estropié et contrefait
que les chiens aboient quand je m’arrête près d’eux !
Eh bien, moi, dans cette molle et languissante époque de paix,
je n’ai d’autre plaisir pour passer les heures
que d’épier mon ombre au soleil
et de décrire ma propre difformité.
Aussi, puisque je ne puis être l’amant
qui charmera ces temps beaux par leurs,
je suis déterminé à être un scélérat
et à être le trouble-fête de ces jours frivoles.

Il le dit, il l’avoue, il apprécie le fait d’être le pire salopard que la Terre ait porté. Et cela en fait sans doute la meilleure construction de personnage exécutée par Shakespeare. Certes, il se justifie par sa disgracieuse apparence qui le rend hideux au point que les chiens lui aboient dessus quand il est proche d’eux.

Richard III incarné par Ian McKellen
Richard III incarné par Ian McKellen

Richard III et les femmes

C’est un être machiavélique, c’est-à-dire dépourvu de sens moral, un être sournois et perfide : Il se marie à la veuve de l’une de ses victimes, avant de la faire assassiner par le poison. Ses agissements effraient jusqu’à sa propre mère qui pleure ces actes barbares. Il assassine ensuite ses neveux, qui furent écartés du trône après une accusation de bigamie lancée sur la Reine Elizabeth… Malgré cela, il doit consolider la base de son pouvoir. Et donc doit se marier, une nouvelle fois. Il choisit alors sa nièce, dont les frères ont péri dans la Tour ou sous le couperet du bourreau.
Quand il vient voir sa belle-sœur, la Reine Elizabeth, pour lui parler de sa fille, cette dernière répond :

Doit-elle donc mourir pour cela ? Oh ! laisse-la vivre,
et je corromprai ses mœurs, je souillerai sa beauté ;
je me calomnierai moi-même, comme infidèle au lit d’Édouard,
et je jetterai sur elle le voile de l’infamie,
pourvu qu’elle puisse vivre hors de l’atteinte du meurtre sanglant !
J’avouerai qu’elle n’est pas fille d’Édouard !

Vous imaginez, vous, être capable d’inspirer une telle frayeur qu’une ancienne reine propose par elle-même de souiller sa réputation et son honneur, et faire de même pour sa fille ? Cersei a du chemin à faire, enfin, si elle sort du septuaire, avant d’en arriver là.

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La Marche de la Honte, V.2

Toutefois, il s’agit tout de même d’un inceste, que Richard propose, décrivant sa nièce comme « La César de César« , c’est-à-dire, la seule personne ayant conquis son cœur. Après Lady Anne. Qu’il a fait assassiner. En effet, pour tenter de rallier sa belle-sœur à sa cause, il explique qu’il a assassiné ses neveux et une bonne partie de la noblesse anglaise pour… L’amour de sa nièce.
C’est amusant, d’une certaine façon, puisque c’est ainsi qu’il s’était expliqué auprès de Lady Anne, à tel point qu’elle a chargé dans le panneau à s’en encastrer, ce qu’elle regretta amèrement lors du couronnement de Richard.

Non ? pourquoi ? Quand celui qui est aujourd’hui mon mari
vint à moi qui suivais le cercueil de Henry,
les mains à peine lavées du sang
de cet ange qui fut mon premier mari
et de ce saint mort que je suivais éplorée,
oh ! alors, quand je fus face à face avec Richard,
voici quel souhait je fis : « Sois maudit, m’écriai-je,  
pour m’avoir fait, à moi si jeune, cette vieillesse de veuve !  
quand tu te marieras, que le chagrin hante ton lit,  
et que ta femme, s’il en est une assez folle pour le devenir,  
ait plus de misères par ta vie  
que tu ne m’en as causé par la mort de mon cher seigneur ! »
Hélas ! avant que j’eusse pu répéter cette imprécation,
oui, en un temps si court, mon cœur de femme
s’était laissé grossièrement captiver par des paroles emmiellées,
et m’avait mise sous le coup de ma propre malédiction.
Depuis lors, le sommeil a été refusé à mes yeux :
jamais, dans le lit de Richard, je n’ai goûté une heure
la rosée d’or du sommeil,
sans être incessamment réveillée par des rêves effrayants.
En outre, il me hait à cause de mon père Warwick :
et, je n’en doute pas, il se débarrassera bientôt de moi

Richard a, envers les femmes, un comportement extrêmement… Bipolaire. Il se sert d’un charisme insoupçonné, pour quelqu’un d’aussi hideux, et a un véritable don, dans le maniement de la langue anglaise, présentant ses actions et ses meurtres comme une preuve d’amour envers les femmes, enracinant cette idée au point qu’on finit naturellement par le croire, tant il paraît sincère.
Pourtant, une fois que ses interlocutrices sont loin de lui, son charme se change en mépris, alors qu’il traite la Reine Elisabeth de « Folle qui fléchit ! Femme futile et changeante ! » et parlant ainsi de Lady Anne, qui vient d’accepter de mettre sa haine à son encontre de côté, elle aussi tombée dans ses rets :

A-t-on jamais courtisé une femme de cette façon ?
A-t-on jamais gagné une femme de cette façon ?
Je l’aurai, mais je ne la garderai pas longtemps

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La duplicité comme principe moral

Ce mépris peut s’expliquer par le fait qu’il n’ait pas l’apparence d’un courtisant typique : difforme, hideux, monstrueux en apparence, il est donc rejeté par les représentantes du beau sexe et développe de l’antipathie envers elles. Le masque qu’il se compose en présence de celles qu’il cherche à charmer n’est qu’une façade, quelques soit les arguments employés pour les séduire, il ne perd jamais de vue son objectif personnel. L’amour n’a pas de place dans sa vie, seule son ambition compte, peu lui chaud que son entourage meurt, (généralement, c’est sur son ordre, pour servir ses desseins personnels, alors…), peu lui importe de souiller l’honneur d’une femme, tous les moyens sont bons pour parvenir à son but.

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Plus encore, c’est avec les membres de sa famille que son comportement est sans doute le plus odieux : entre son frère George qui finit la tête dans un tonneau de malvoisie, ses neveux, derniers obstacles au trône qui périssent dans la Tour… Même sa mère ne peut que l’abreuver d’injures – avant de voir sa voix couverte par le roulement du tambour.

Celle qui aurait pu, en t’étranglant dans ses entrailles maudites, t’interdire tous les meurtres que tu as commis, misérable !

Richard joue sur tous les tableaux, use de duplicité y compris avec ses propres alliés : le duc de Buckingham (inspiré par Henry Stafford, lui aussi soutien de Richard de Gloucester) qui le soutient corps et âme, voit son souhait être proprement ignoré par son suzerain, avant d’être qualifié de « traître » par ce dernier et ultimement condamné à mort. A l’instar de Henry Stafford, qui a tenté de déposer Richard III, et s’est fait décapité le 2 novembre 1483.

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Comme vous l’avez vu, il s’agit d’un personnage somme toute assez complexe, qui, ironiquement, cherche la paix dans une Angleterre déchirée par la Guerre des Deux Roses, au sortir de la meurtrière Guerre de Cent Ans. La paix, oui, il la souhaite, mais c’est une paix qui doit rester sous son contrôle et pour cela, il se doit (selon son opinion) d’écraser les gêneurs qui sont sur son chemin, peu importe qu’il s’agissent de Lancastres ou de Yorks.
Et c’est pourquoi ce personnage est une création de génie : pour sa construction, sa psyché et ses actes, qui vit tout de même une sorte de rédemption, après la visite des spectres, se rendant compte qu’il est en réalité seul, aucun dans son entourage ne l’aime et lui-même se hait :

[…] et, si je meurs, pas une âme n’aura de pitié pour moi !…
Et pourquoi en aurait-on, puisque moi-même
je ne trouve pas en moi-même de pitié pour moi-même ?

Et rien que pour cette petite citation, Richard III est l’un des meilleures personnages créé par Shakespeare, sinon le meilleur.

Antoine Barré