Richard III, la meilleure création de Shakespeare ?

Richard III est un personnage machiavélique, cruel et détestable. Du moins, c’est ce que Shakespeare a tenté de nous présenter. Et, se faisant, il a sans doute créé un de ses meilleurs personnages, sinon le meilleur, le plus abouti.

Et bien quoi ? Roméo et Juliette ? Mièvre à souhait. Quant à Macbeth et Hamlet ? Ils ne dépareraient pas dans un épisode de Game of Thrones (remarquez, comme Richard III, mais on y reviendra.), pour autant, il leur manque un petit quelque chose. Le Viol de Lucrèce ? Ce poème est magnifique et très bien écrit par ailleurs, et relate ce qui provoqua la chute de la monarchie romaine, c’est à dire le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin, fils de Tarquin le Magnifique si j’en crois mes souvenirs de cours de latin.

Mais Richard III… Comment vous dire…
En fait, la pièce entière est un synopsis de GRR Martin, entre le meurtre commandité de son frère, celui de ses deux neveux, la mise à mort de l’ancien chambellan du roi (qui l’avait pourtant soutenu) et celles de nombreux de ses anciens soutiens, suivi par une sorte de semi-inceste puisqu’il cherche à épouser sa propre nièce pour asseoir son pouvoir… On voit que le type est un salaud complet. Sauf que… Par rapport aux autres personnages de Shakespeare, non seulement il le sait, mais il s’en réjouit, comme preuve un passage de son monologue marquant le début de la pièce :

Mais moi qui ne suis pas formé pour ces jeux folâtres,
ni pour faire les yeux doux à un miroir amoureux,
moi qui suis rudement taillé et qui n’ai pas la majesté de l’amour
pour me pavaner devant une nymphe aux coquettes allures,
moi en qui est tronquée toute noble proportion,
moi que la nature décevante a frustré de ses attraits,
moi qu’elle a envoyé avant le temps
dans le monde des vivants, difforme, inachevé,
tout au plus à moitié fini,
tellement estropié et contrefait
que les chiens aboient quand je m’arrête près d’eux !
Eh bien, moi, dans cette molle et languissante époque de paix,
je n’ai d’autre plaisir pour passer les heures
que d’épier mon ombre au soleil
et de décrire ma propre difformité.
Aussi, puisque je ne puis être l’amant
qui charmera ces temps beaux par leurs,
je suis déterminé à être un scélérat
et à être le trouble-fête de ces jours frivoles.

Il le dit, il l’avoue, il apprécie le fait d’être le pire salopard que la Terre ait porté. Et cela en fait sans doute la meilleure construction de personnage exécutée par Shakespeare. Certes, il se justifie par sa disgracieuse apparence qui le rend hideux au point que les chiens lui aboient dessus quand il est proche d’eux.

Richard III incarné par Ian McKellen
Richard III incarné par Ian McKellen

Richard III et les femmes

C’est un être machiavélique, c’est-à-dire dépourvu de sens moral, un être sournois et perfide : Il se marie à la veuve de l’une de ses victimes, avant de la faire assassiner par le poison. Ses agissements effraient jusqu’à sa propre mère qui pleure ces actes barbares. Il assassine ensuite ses neveux, qui furent écartés du trône après une accusation de bigamie lancée sur la Reine Elizabeth… Malgré cela, il doit consolider la base de son pouvoir. Et donc doit se marier, une nouvelle fois. Il choisit alors sa nièce, dont les frères ont péri dans la Tour ou sous le couperet du bourreau.
Quand il vient voir sa belle-sœur, la Reine Elizabeth, pour lui parler de sa fille, cette dernière répond :

Doit-elle donc mourir pour cela ? Oh ! laisse-la vivre,
et je corromprai ses mœurs, je souillerai sa beauté ;
je me calomnierai moi-même, comme infidèle au lit d’Édouard,
et je jetterai sur elle le voile de l’infamie,
pourvu qu’elle puisse vivre hors de l’atteinte du meurtre sanglant !
J’avouerai qu’elle n’est pas fille d’Édouard !

Vous imaginez, vous, être capable d’inspirer une telle frayeur qu’une ancienne reine propose par elle-même de souiller sa réputation et son honneur, et faire de même pour sa fille ? Cersei a du chemin à faire, enfin, si elle sort du septuaire, avant d’en arriver là.

cersei
La Marche de la Honte, V.2

Toutefois, il s’agit tout de même d’un inceste, que Richard propose, décrivant sa nièce comme « La César de César« , c’est-à-dire, la seule personne ayant conquis son cœur. Après Lady Anne. Qu’il a fait assassiner. En effet, pour tenter de rallier sa belle-sœur à sa cause, il explique qu’il a assassiné ses neveux et une bonne partie de la noblesse anglaise pour… L’amour de sa nièce.
C’est amusant, d’une certaine façon, puisque c’est ainsi qu’il s’était expliqué auprès de Lady Anne, à tel point qu’elle a chargé dans le panneau à s’en encastrer, ce qu’elle regretta amèrement lors du couronnement de Richard.

Non ? pourquoi ? Quand celui qui est aujourd’hui mon mari
vint à moi qui suivais le cercueil de Henry,
les mains à peine lavées du sang
de cet ange qui fut mon premier mari
et de ce saint mort que je suivais éplorée,
oh ! alors, quand je fus face à face avec Richard,
voici quel souhait je fis : « Sois maudit, m’écriai-je,  
pour m’avoir fait, à moi si jeune, cette vieillesse de veuve !  
quand tu te marieras, que le chagrin hante ton lit,  
et que ta femme, s’il en est une assez folle pour le devenir,  
ait plus de misères par ta vie  
que tu ne m’en as causé par la mort de mon cher seigneur ! »
Hélas ! avant que j’eusse pu répéter cette imprécation,
oui, en un temps si court, mon cœur de femme
s’était laissé grossièrement captiver par des paroles emmiellées,
et m’avait mise sous le coup de ma propre malédiction.
Depuis lors, le sommeil a été refusé à mes yeux :
jamais, dans le lit de Richard, je n’ai goûté une heure
la rosée d’or du sommeil,
sans être incessamment réveillée par des rêves effrayants.
En outre, il me hait à cause de mon père Warwick :
et, je n’en doute pas, il se débarrassera bientôt de moi

Richard a, envers les femmes, un comportement extrêmement… Bipolaire. Il se sert d’un charisme insoupçonné, pour quelqu’un d’aussi hideux, et a un véritable don, dans le maniement de la langue anglaise, présentant ses actions et ses meurtres comme une preuve d’amour envers les femmes, enracinant cette idée au point qu’on finit naturellement par le croire, tant il paraît sincère.
Pourtant, une fois que ses interlocutrices sont loin de lui, son charme se change en mépris, alors qu’il traite la Reine Elisabeth de « Folle qui fléchit ! Femme futile et changeante ! » et parlant ainsi de Lady Anne, qui vient d’accepter de mettre sa haine à son encontre de côté, elle aussi tombée dans ses rets :

A-t-on jamais courtisé une femme de cette façon ?
A-t-on jamais gagné une femme de cette façon ?
Je l’aurai, mais je ne la garderai pas longtemps

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La duplicité comme principe moral

Ce mépris peut s’expliquer par le fait qu’il n’ait pas l’apparence d’un courtisant typique : difforme, hideux, monstrueux en apparence, il est donc rejeté par les représentantes du beau sexe et développe de l’antipathie envers elles. Le masque qu’il se compose en présence de celles qu’il cherche à charmer n’est qu’une façade, quelques soit les arguments employés pour les séduire, il ne perd jamais de vue son objectif personnel. L’amour n’a pas de place dans sa vie, seule son ambition compte, peu lui chaud que son entourage meurt, (généralement, c’est sur son ordre, pour servir ses desseins personnels, alors…), peu lui importe de souiller l’honneur d’une femme, tous les moyens sont bons pour parvenir à son but.

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Plus encore, c’est avec les membres de sa famille que son comportement est sans doute le plus odieux : entre son frère George qui finit la tête dans un tonneau de malvoisie, ses neveux, derniers obstacles au trône qui périssent dans la Tour… Même sa mère ne peut que l’abreuver d’injures – avant de voir sa voix couverte par le roulement du tambour.

Celle qui aurait pu, en t’étranglant dans ses entrailles maudites, t’interdire tous les meurtres que tu as commis, misérable !

Richard joue sur tous les tableaux, use de duplicité y compris avec ses propres alliés : le duc de Buckingham (inspiré par Henry Stafford, lui aussi soutien de Richard de Gloucester) qui le soutient corps et âme, voit son souhait être proprement ignoré par son suzerain, avant d’être qualifié de « traître » par ce dernier et ultimement condamné à mort. A l’instar de Henry Stafford, qui a tenté de déposer Richard III, et s’est fait décapité le 2 novembre 1483.

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Comme vous l’avez vu, il s’agit d’un personnage somme toute assez complexe, qui, ironiquement, cherche la paix dans une Angleterre déchirée par la Guerre des Deux Roses, au sortir de la meurtrière Guerre de Cent Ans. La paix, oui, il la souhaite, mais c’est une paix qui doit rester sous son contrôle et pour cela, il se doit (selon son opinion) d’écraser les gêneurs qui sont sur son chemin, peu importe qu’il s’agissent de Lancastres ou de Yorks.
Et c’est pourquoi ce personnage est une création de génie : pour sa construction, sa psyché et ses actes, qui vit tout de même une sorte de rédemption, après la visite des spectres, se rendant compte qu’il est en réalité seul, aucun dans son entourage ne l’aime et lui-même se hait :

[…] et, si je meurs, pas une âme n’aura de pitié pour moi !…
Et pourquoi en aurait-on, puisque moi-même
je ne trouve pas en moi-même de pitié pour moi-même ?

Et rien que pour cette petite citation, Richard III est l’un des meilleures personnages créé par Shakespeare, sinon le meilleur.

Antoine Barré