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Grasse à une attaque, le jeu vidéo a bon dos

L’attaque de Grasse, et surtout les premiers portraits du tueur esquissés par les médias, remettent une nouvelle fois le jeu vidéo en cause.

« Visiblement fan de jeux vidéo… », « … De jeux vidéo de massacre… »

Les médias (ici le Figaro et Le Parisien) s’en donnent une nouvelle fois à cœur joie. Le jeu vidéo, fantasme absolu de ses détracteurs, est une nouvelle fois pointé du doigt après une attaque à main armée, survenue dans un lycée de Grasse. La piste de l’islamisme radical ayant été écartée dès le début de l’enquête, il fallait donc trouver un nouveau coupable à cette folie meurtrière. Et donc, une nouvelle fois, on se tourne vers le domaine vidéo-ludique. Certes, Kylian, l’apprenti-tueur, avait emprunté son image de profil à un jeu violent, Hatred, qui met les joueurs dans la peau d’un sociopathe aux penchants meurtriers, mais… Est-ce pour autant une raison suffisante pour prendre une bonne dose d’Amalgam 3000 et généraliser ainsi en parlant des jeux vidéo ?

Un coupable, à tout prix

De nos jours, dès qu’une fusillade éclate en France, on va avoir droit à un schéma semblable à celui-ci :

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La principale critique des jeux vidéo est qu’ils ont tendance à faire perdre le contact avec la réalité aux joueurs. Souvenez-vous, déjà en 2014, Laure Manaudou et Nagui, sur France Inter, s’étaient attaqué à ce loisir, la nageuse olympique déclarant même :

« J’ai toujours été contre les jeux vidéo, j’en ai jamais eu quand j’étais petite et pour moi de s’abrutir devant un ordinateur alors qu’il y a autre chose à côté et qu’il y a des gens à qui parler, pour moi c’est nul.

Mon petit frère joue beaucoup à FIFA et quand je vais chez lui, bah je suis assise sur le canapé et puis j’attends parce qu’il est comme ça en train de jouer. »

Bien entendu, la communauté des gamers avait réagi, allant jusqu’à rappeler que Nagui avait fait une publicité pour la Nintendo 3DS, une console de jeux portable. Ici, c’était une petite polémique, qui n’avait rien à voir avec les deux exemples suivant, qui eurent lieu après les attentats du 13 novembre 2015. L’idée présentée dans le prochain paragraphe n’était pas de dénoncer le manque de contact avec la réalité engendré par le jeu vidéo (quoique), mais d’une certaine banalisation de la violence.

Le 22 novembre, une tribune de Nadia Khouri-Dagher fait sursauter la Toile, car cette dernière désignait explicitement les jeux vidéo, les bon gros blockbusters cinématographiques, les séries télévisées mais aussi les romans policiers (supposés avoir été inventés par les Etats-Unis… Agatha Christie, quelle cachottière tu es !) comme étant les principaux responsables de la perdition de notre belle jeunesse. Mais, il faut bien l’avouer, tribune ou non, elle donnait surtout l’impression d’avoir été écrite après avoir fumé une bonne grosse cigarette de chanvre.
Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy réagit, au micro d’Europe 1, au « Noël désarmé » (initiative visant à retirer les répliques d’armes de la vente des magasins de jouets, à l’approche des fêtes), en déclarant :

« Ecoutez, si on s’attaque à l’armement du Père Noël, on pourrait peut-être regarder de plus près ces jeux vidéo d’une violence inouïe qui sont dans tous les cadeaux qui sont donnés. Je pense qu’il y a des priorités. Pour moi la priorité, c’est pas le désarmement du Père Noël. »

Mais une nouvelle fois, on parle, on lance de grandes phrases, et on élude le problème : « Où se situe la responsabilité » ?

Reporter la responsabilité

Le jeu vidéo est-il réellement le seul responsable ? Oui et non. Le système de classification PEGI, qui défini à partir de quel âge tel contenu de loisir (films, vidéos, jeux vidéo, etc…) est adapté, est un système aujourd’hui désuet. Pratiquement tous les joueurs de Call of Duty (PEGI 18) ont déjà entendu la voix fluette du gamin n’ayant pas encore mué les insulter et leur expliquer comment ils ont eu des relations sexuelles relativement consenties avec leur génitrices la veille.

Mais de l’autre, on a une responsabilité humaine, qui est bien trop souvent écartée, minimisée. De nos jours, bien des parents laissent tomber l’éducation de leurs enfants, faute de temps, ou de moyens, et considèrent que la télévision, les professeurs des écoles et les jeux vidéo rempliront le rôle qui est normalement dévolu aux aînés de la famille.
Certes, dans sa « tribune », Nadia Khouri-Dagher lance un appel pratiquement déchirant concernant cet abandon pratiquement volontaire :

« Maintenant imaginez des jeunes issus de l’immigration, avec une offre de loisirs limitée pour des raisons économiques et culturelles, ne partant peut-être jamais en vacances, et passant leurs journées entières rivés à des écrans, mitraillette (fictive ?) à la main, en train de commettre des massacres… »

Mais elle semble oublier qu’elle-même a lâchement laissé tomber son chérubin, puisqu’elle découvre, plus de 15 ans après les achats, que ce dernier jouait à Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty (horreur, un jeu dans lequel on doit justement essayer de tuer le moins d’ennemis pour avoir un bon score) durant son adolescence, ainsi qu’à Killzone, GTA Vice City, God of War, Mortal Kombat ou bien Resident Evil. Toutefois… Au vu de sa position sociale (puisqu’elle se vante de travailler à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, en face de la Sorbonne), elle fait partie d’une catégorie éduquée, qui a accès à un certain niveau d’aisance, que ce soit culturelle et économique.

Certes, son fils ne se balade pas en plein Paris, AK-47 en main, pour autant, il me semble être assez bon juge en la matière pour supposer que lui-même a passé quelques journées de vacances manette en main, devant l’écran de télévision.

En réalité, Nadia Khouri-Dagher, Nicolas Sarkozy et autres compères vitupérant à qui mieux mieux contre les loisirs vidéo-ludiques, ne font que détourner l’attention du principal fait : ils ne veulent pas s’avouer à eux-mêmes qu’ils sont responsables en partie de cette situation.

De nos jours, le jeu vidéo sera systématiquement pointé du doigt, comme le furent en leurs temps les jeux de rôles ou le rock, en tant que « symbole de la déviance de la jeunesse ».

Il est en effet aujourd’hui plus simple d’appuyer sur un bouton de la télécommande pour permettre à ses enfants de regarder les dessins animés du soir, ou bien de leur acheter des jeux vidéo que de s’asseoir avec eux, lire en leur compagnie, leur conter des histoires, etc… Et oui, ces activités-là demandent de consacrer un temps précieux qu’ils n’ont pas nécessairement, puisqu’ils sont des adultes débordés par leurs vies d’adultes mûrs et responsables. Mieux vaut donc laisser autrui s’en charger.

Et s’il y a une perte de réalité de la part des enfants… Leurs parents, qui les auront placé dans cette situation, ne peuvent que se blâmer eux-mêmes. En effet, ils n’auront pas pris le temps d’inculquer à leurs chers têtes blondes les clés nécessaires à la différenciation de la réalité et du virtuel.

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En réalité, Néo est un geek qui pense être dans un jeu vidéo avec tous les cheat-codes en sa possession.

En fin de compte, la responsabilité ne vient pas tant des jeux vidéo, qui sont surtout présents pour servir de catharsis, de défouloir, que des parents qui, par manque de temps ou par pur désintérêt, laissent les mains libres à leurs enfants, sans réellement exercer un quelconque contrôle sur ce qu’ils font. Quoique dire cela revient à considérer que tous les jeux vidéo sont nécessairement violents, ce qui n’est pas toujours le cas : Animal Crossing, Les Sims, Zoo Tycoon, ABZÛ et l’on en passe, sont des exemples de jeu où la violence n’a pas sa place.

En fin de compte, cela soulève même une autre question : le fait que les parents laissent leurs enfants devant la télévision car ils n’ont pas le temps/ne veulent pas prendre le temps de s’en occuper, et tandis que l’école devient l’un des premiers lieux où l’on s’oppose nettement et clairement à eux, bien avant le cercle familial… N’est-ce pas au final un manque d’éducation ?
Il est assez aisé de faire la part entre le réel et le virtuel, même en étant un aficionado des jeux vidéo, à partir du moment où, dans notre éducation, on nous a apprit à faire la part des choses.

Sur ce, je vous laisse à cette méditation, quant à moi, je vais me planter 5 heures durant devant un miroir et parler, parler, parler, jusqu’à ce qu’une petite jauge bleue située au-dessus de ma tête se remplisse complètement. Ensuite, après avoir ainsi maîtrisé mon Thu’um, je vais aller sauver Guerre de la damnation éternelle en l’empêchant de mettre la main sur Deuillegivre, le tout pendant que Sam & Max me pilonneront au phosphore blanc.

Antoine Barré