La Chapelle : enquête dans un quartier au cœur des polémiques

Le 18 mai, Le Parisien lâche une bombe sur son site internet : « des femmes de Porte de la Chapelle se plaignent de ne pas pouvoir se déplacer sans essuyer des remarques et des insultes de la part des hommes ».

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L’article s’appuie sur une pétition contre le harcèlement des femmes dans ce quartier avec pour titre choc « La Chapelle & Pajol : Les femmes, espèce en voie de disparition au cœur de Paris » lancée le même jour.

Cette dernière est directement adressée au nouveau président de la République et à son gouvernement, ce qui suscite un florilège de réactions partout sur le net.

Nous avons tenté de joindre les deux associations mais aucune n’ont donné suite à notre requête. Nathalie de SOS La Chapelle s’est cependant exprimée au micro de France Inter à propos de la situation dans son quartier.

La pétition aura aussi beaucoup intéressé les médias. Que ce soit sur internet (Huffington Post, 20 minutes) en presse écrite (Libération, Le Figaro, Le Parisien) c’est le sujet médiatique de la semaine.

Le sujet est même passé au 20h de France 2 lundi dernier. Les commentaires qui en ressortent sont majoritairement des plaintes au niveau du trafic de drogue, des violences verbales et parfois physiques d’un groupe d’hommes. « Ils ont souvent entre 12 et 25 ans, ce ne sont pas des vrais gangsters, mais ils trainent dans les halls et fument leur machin » explique Josiane.

Seulement quelques heures après la publication de l’article du Parisien qui relayait la pétition, Valérie Pecresse et Babette Roziéres se sont rendu sur place pour dénoncer « la ségrégation » dans le quartier. Cette dernière s’insurge dans un article du Huffington Post « On insulte les femmes, on les traite de pute, de salope on leur dit on va te baiser (…) Il est temps que ça change ! ».

 

Les médias nous livrent donc le portrait typique de la racaille de banlieue super lourd que l’on a tous déjà croisé dans la rue.

D’autres sources plus douteuses comme certains sites d’extrême droite profitent de la pétition pour stigmatiser les migrants.

Le site Boulevard Voltaire n’hésite pas à titrer « Les immigrés ne portent pas le même regard sur la femme que les Occidentaux. » tandis que Valeurs Actuelles insiste sur le fait que les femmes « ne peuvent marcher 200 mètres sans subir les injures et les menaces de groupes d’hommes agressifs, migrants, dealers, passeurs, vendeurs à la sauvette ».

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Face à l’engouement médiatique, la mairie de Paris a décidé de prendre les choses en main.

Il s’agit avant tout de renforcer les effectifs. Le 31 mai, une rencontre est prévue entre François Molins, procureur de la république de Paris, et les maires d’arrondissement, pour étudier la possibilité de créer un Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) dédié au quartier La Chapelle-Pajol.

Les effectifs de police, c’est d’ailleurs la première chose que l’on remarque à peine descendus du métro, Place de la Chapelle.

Entre deux camions des forces de l’ordre, le gérant du kiosque à journaux explique: » Depuis quelques jours il y a 3 camions de CRS ici. C’est bien, c’est une bonne chose, ce quartier est difficile, il y a beaucoup de problèmes. »

En visitant les rues incriminées (la rue Pajol, la rue Philippe de Girard, la rue Marx Dormoy, la station de métro et le boulevard de la Chapelle), il est vrai que plusieurs groupes de jeunes hommes défavorisés,et beaucoup de migrants sont présents en nombre, mais nous avons vu partout des femmes seules et de tout âge arpenter ces rues sans essuyer de remarques désobligeantes, on est loin d’une « disparition des femmes » dans le quartier. 

Dans le bar Le Cyclone, beaucoup d’hommes de passages qui viennent prendre un café, sinon des inconditionnels des courses de chevaux et jeux à gratter. C’est un bar PMU dont la clientèle est exclusivement masculine, c’est vrai.

Mais à La Royale, c’est pourtant une femme qui tient le bar, répondant à chaque « un café s’il vous plait » des migrants qui sont en nombre, le café étant situé à quelques mètres de la station de métro. L’ambiance est plutôt calme et bonne enfant. En terrasse, il y a plusieurs femmes avec leurs poussettes, plusieurs groupes d’amis et familles qui prennent le soleil en fumant la chicha ou en jouant aux cartes.

Le Square de Marillac, dont il est question dans la pétition n’accueille en effet aucun enfant… Il est totalement fermé depuis quelques jours et le début de la polémique, et encerclé par plusieurs groupes de CRS.

« On est là pour surveiller le quartier, les incivilités et le harcèlement vis-à-vis des femmes » nous explique l’un d’eux.
Il nous indique également que l’accès au parc a été interdit à cause des trafics et de la mauvaise fréquentation.

Tout proche de la station de métro La Chapelle, il y a en effet beaucoup de groupes de migrants assis autour du square, mais il y a également des cafés autour, beaucoup de passage, et des femmes qui ne semblent pas avoir déserté les lieux..

Attablée en terrasse, nous rencontrons Claudine, la soixantaine, qui nous parle de son quartier qu’elle connaît bien. « Ça fait 20 ans que je vis ici, je me suis fait agressé 6 ou 7 fois au cours de cette période mais je pense que ça arrive dans beaucoup de quartiers. Des gens cherchent à récupérer la pétition qui circule sur mon quartier pour mettre en cause les migrants mais c’est faux, je n’ai pas remarqué de recrudescence de harcèlement depuis ces dernières années, c’est plutôt stable » explique-t-elle.

Voici l’essentiel de ce que nous avons vu et observé en marchant dans les rues du quartier La Chapelle-Pajol.

Durant notre vadrouille, trois personne sont en train de coller une affiche sur une porte, rue Marx Dormoy.

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On pense avoir affaire à des militants de la pétition sauf que c’est tout l’inverse. Ils sont là pour la dénoncer.
Un peu méfiants, ils ont refusé de nous répondre devant une caméra mais prennent le temps de nous expliquer qu’ils ne vivent pas la situation de la même manière.

Ils pointent du doigt l’arrivée d’habitants aisés dans le quartier qui « instrumentalisent le féminisme à des fins racistes et anti-pauvres » et pour en savoir plus, nous invitent à un rendez-vous organisé le surlendemain, proche de la station de métro. « Avec les camions de flics venus en masse depuis 3 jours, ça a déjà fait partir beaucoup de gens, de migrants. Le quartier ne ressemble pas à ça d’habitude. »

Jeudi 25 mai 2017, 18heures, on se rend Place de La Chapelle. A l’appel du « Collectif Migrants du 19ème arrondissement de Paris » (soutenu par Attac, Mouvement pour la Paix ou la LDH), les habitants du quartier et les bénévoles de plusieurs associations  commencent à se rassembler pour discuter avec et entre habitants du quartier, et afin de le défendre face aux allégations de l’article du Parisien.

 

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Après 2 heures de rassemblement, de marche et de discussions avec des habitants du quartier présents sur place (qui n’étaient pas tous d’accord sur le sujet, certains refusant la stigmatisation des migrants mais refusant de nier le problème des violences faites aux femmes), nous interviewons Romain Prunier, engagé bénévolement dans plusieurs associations qui viennent en aide aux migrants. Il fait partie des organisateurs du rassemblement, et nous explique sa démarche et son point de vue sur la récente polémique.

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