Spec Ops : The Line, une claque vidéoludique

Après avoir parlé de ABZÛ, je vais me pencher sur un autre jeu, fort différent et sorti il y a quelques années, en proposant des thématiques peu explorées dans les jeux vidéo. Voici la critique de Spec Ops The Line.

Autour du jeu

Spec Ops : The Line est le dernier jeu en date de la série des Spec Ops, qui débute en 1998 avec Spec Ops : Rangers Lead the Way, et sorti sur PC. Il y a à ce jour 10 jeux de sortis sur cette série, un onzième, Airborne Division, était supposé sortir sur la PS2 en étant édité par Rockstar Vancouver, mais fut annulé.
Celui dont on va parler ici, Spec Ops : The Line, a été développé par Yager Development et Darkside Game Studio, avant d’être publié par 2K Games sur Linux, Windows, PS3, Xbox 360 et OS X en 2012.

Il est fortement inspiré d’un livre de John Conrad, « Au Cœur des Ténèbres », qui conte, entre autre, l’obsession d’un homme, Marlow, pour un trafiquant d’ivoire, Kurtz. A noter que le nom de l’auteur fut transformé en John Konrad et donné à « l’antagoniste » de l’histoire.

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Techniquement parlant, le jeu fut un échec commercial, se plaçant en 3ème position des ventes, avec Max Payne 3, derrière LA Noire et Duke Nukem Forever. Toutefois, cela n’empêcha pas le jeu de recevoir près de 8 nominations différentes et de gagner 3 prix : Best Story PC, Best Story PS3 (IGN Best of Awards 2012) et Best Narrative (2012 Inside Gaming Awards).

« War, war has changed…« 

Le principal intérêt, que les différentes critiques ont pointées vis-à-vis de ce jeu vidéo, est la mécanique de jeu, qui allait bien souvent à l’encontre des mécaniques de la majorité des First Person Shooter des plus populaires (Call of Duty, Battlefield), tout en incluant des clichés du genre FPS, afin de montrer à quel point les combats dans ces jeux vidéos sont… Grotesques, à tout le moins, en comparaison de ce qui se déroule sur les véritables champs de bataille.

Les combats ne sont pas un simple échange de tir façon : « Pew ! Pew ! T’es mort ! Je suis le plus fort !« . Loin de là. Nous ne sommes pas dans un jeu où la guerre est amusante. Les combats sont ardus, quel que soit le niveau de difficulté choisi, les munitions peuvent être rares et surtout, nous sommes confrontés à l’autre versant de la guerre.  Le jeu nous plonge dans l’horreur, la véritable horreur, non pas quelque chose qui provient de notre imaginaire, tels que des fantômes, des démons et autres créatures surnaturelles, mais un pur produit de l’être humain.

Plot-twist : elles sont mortes à cause de vous
Plot-twist : elles sont mortes à cause de vous

On nous dévoile la réalité derrière les crimes de guerre : les bavures entraînant la mort de civils, les supposées « frappes chirurgicales » (façon ablation totale + steak cuit à point), on fait face à des choix cruciaux qui vont déterminer du destin de plusieurs centaines, voire de milliers de personnes.
Et, si l’on venait à oublier cela, les écrans de chargement du jeu se font un véritable plaisir de vous rappeler que vous ne vivez pas dans le monde des Bisounours, en brisant le quatrième mur. You’re far away of Kansas, Dorothy.

"Si vous étiez quelqu'un de bien, vous ne seriez pas ici."
« Si vous étiez quelqu’un de bien, vous ne seriez pas ici. »

Pire encore, le jeu se permet de littéralement vous troller, en jouant sur le fait qu’il s’agit d’une oeuvre de fiction :

"L'armée américaine n'approuve pas le meurtre de combattants désarmés. Mais tout ceci n'est pas réel, alors pourquoi s'en préoccuper ?"
« L’armée américaine n’approuve pas le meurtre de combattants désarmés. Mais tout ceci n’est pas réel, alors pourquoi s’en préoccuper ? »

Et tout cela se ressent sur les personnages…

Une écriture nouvelle

Sorti en 2009, Modern Warfare 2, de la licence Call of Duty, avait suscité la polémique grâce à l’une des missions de sa campagne (Oui, il y a un mode « Campagne » sur Call of Duty, aussi étrange que cela puisse paraître). Cette mission, controversée au possible, répond au nom de « No Russians ». Dans cette dernière, en compagnie d’un terroriste nommé Makarov et de son groupe, le joueur, armé d’une arme lourde, va massacrer la population civile d’un aéroport. Certes c’est controversé, certes, on va se sentir mal à l’aise, mais pour autant… Il semble que cette impression ne reste pas. Littéralement, on finit par se dire : « Bon, on les a buté, maintenant, on passe à la suite. Encore 30 minutes et j’aurais complété la Campagne à 100% en mode Hardcore. »

Dans Spec Ops : The Line, et c’est l’une des grandes forces de ce jeu, le joueur se sent coupable, et à juste titre d’ailleurs, quand il tue par inadvertance un civil durant un combat (oui, cela peut arriver. Et oui, on se sent mal). Plus encore, de nombreux actes auxquels on participe ont en réalité une portée bien plus conséquente qu’on ne se l’imagine au moment où on les perpètre.

Mieux encore, cela se répercute sur notre personnage, Martin Walker, non seulement sur sa psyché mais aussi sur son apparence physique, et chacune des épreuves (au sens littéral du terme) qu’il traverse le marque à vie :

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L’évolution de Martin Walker

Et il n’est pas le seul : ses camarades, Lugo et Adams, sont tout aussi physiquement marqués que lui. Toutefois, seule la psyché de Walker est affectée, ce qui ne se remarque pas immédiatement, mais mène à un coup de théâtre magnifique et très bien pensé qui, à nouveau, laisse à nouveau le joueur face à un choix.

C’est un jeu qui, émotionnellement, met à mal les joueurs. Ironiquement, plusieurs personnes considèrent que, pour gagner, il suffit de s’arrêter de jouer, de poser la manette une fois pour toutes, ce qui arrive assez souvent après la célèbre « Scène du Phosphore Blanc« .

"Il a fait de nous des putains de tueurs !"
« Il a fait de nous des putains de tueurs ! »

L’avis du Tatu

Ce jeu est excellent, avec une difficulté somme toute assez élevée, même en mode Normal. Les graphismes sont beaux, la bande-son est très agréable et surtout l’histoire est bien travaillée. L’on évolue dans un Dubaï post-apocalyptique, mais dans lequel on se rend compte que les événements dépeints peuvent faire partie d’un scénario apocalyptique plausible.

On transite des rues ensablées et en ruines aux intérieurs surchargés de décors pratiquement oniriques, en passant par des souterrains sombres empestant la mort. La mise en scène est extrêmement bien soignée et plonge littéralement les joueurs dans les abîmes de la guerre, au sein des horreurs qu’elle engendre, notamment dans ses abus.

C’est un jeu qui, émotionnellement, met un véritable coup de poing à nos sentiments. Si vous vous sentez mal à l’aise en jouant à Spec Ops : The Line, félicitations. C’est que vous y jouez bien.

Je le note à 19/20 pour deux raisons : ne pas le noter directement sur 20, et pour la frustration ressentie en devant recommencer certains combats extrêmement ardus.

Il est pour vous si :
– Vous en avez entendu parler, et vous souhaitez le découvrir
– Vous voulez découvrir Dubaï sous un nouvel angle
– Les choix moraux complexes ne vous font pas peur

Il n’est pas pour vous si :
– Vous êtes un sale kikoo fan de CoD
– « No Russians » vous a traumatisé à vie

Spec Ops : The Line, 19,99€ sur Steam.

Antoine Barré