Et Drake réinventa le rap

Drake revient en force avec son quatrième album Views. En quelques années, le gamin de Toronto s’est fait sa place au sommet. Comment a-t-il fini par révolutionner le Rap ?

Drake, c’est avant tout l’antithèse du rappeur trop sûr de lui et tellement ostentatoire qu’on en vient à se demander s’il fait de la musique pour l’art ou pour l’or. Depuis six ans, il a su prendre à contre-pied les codes et clichés qui avaient fait du rap un monde de brute peu accueillant. Car le style Drake relève plus de la douce introspection que de la démonstration de force. C’est aussi du buzz, des danses originales, mais par dessus tout l’invention d’un style encore jamais exploré.

Pour tout cela, le natif de Toronto divise autant chez les amateurs de rap que chez les artistes eux-mêmes qui se sont longtemps attaqué à son style « fragile »

Le pionnier du « soft-rap »

Des rappeurs américains, il en existe à la pelle. Nombreux disparaissent après seulement quelques mois au top. Les Tyga, Meek Mill ou encore Wiz Khalifa sont symptomatiques des rappeurs dépourvus de toute identité artistique qui, en définitif, n’apportent rien à leur art.

Car oui, le rap est un art (et n’allez surtout pas dire le contraire à Kanye West).

Le coup de génie de Drake pour s’imposer ? Inventer son propre mouvement dans un genre, qui, mises à part les fulgurances du génie Kanye West, vivotait.

Pour la première fois un rappeur ose étaler ses faiblesses liées aux échecs sentimentaux, à la célébrité et à l’absence du père… Tout cela emballé dans des mélodies travaillées jusqu’à obtenir une atmosphère où règnent doute, fébrilité et paranoïa.

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Le clip de Marvin’s Room reflète parfaitement l’univers introspectif de Drake

 

Drake chante sa médiocrité. Oui, «chante», et là est sa particularité.

Il a travesti son rap pour atteindre la parfaite alchimie entre rap et chant. Son dernier album Views ou encore l’excellent Take Care en sont les parfaits exemples. Sa capacité à mêler ces deux styles est unique dans le rap. Personne n’avait, avant lui, assumé le genre.

Cette originalité a donné naissance à des dizaines de morceaux, pour la plupart, très éloignés des bases du rap. Une différence qui l’a rendu facilement identifiable.

Toronto, sa muse

Par dessus tout, Drake aime clamer son appartenance à Toronto, « The 6″ comme il l’appelle.

Car non, Drake n’a pas grandit dans les rues de Brooklyn. Il n’a pas non plus baigné dans l’ambiance pesante de la guerre des gangs de Los Angeles. Sa ville à Drake, c’est Toronto. Sa réussite lui aura d’ailleurs valu l’honneur de recevoir les clefs de la ville des mains du Maire en février dernier.

Drake reçoit les clefs de Toronto lors d'un match de Basketball des Toronto Raptors, équipe dont il est l'ambassadeur
Drake reçoit les clefs de Toronto lors d’un match de Basketball des Toronto Raptors, équipe dont il est l’ambassadeur.

 

Toronto est à Drake ce que Gala était à Dali : sa source d’inspiration.

C’est dans le froid saisissant, la brume d’hiver, et les tempêtes de neige interminables que Drake s’est construit. On est loin de la drogue et des armes dont parlent beaucoup de rappeurs.

Toronto, c’est aussi Noah «40» Shebib, son ami de toujours devenu son producteur fétiche.

Capable de créer des rythmes nerveux comme We’ll Be Fine ou Tuscan Leather mais aussi des ballades mélancoliques telles que Connect et Marvin’s Room, il est indissociable de l’art Drake.

Noah Shebib, alias "40", le producteur de Drake en studio pendant l'enregistrement de Nothing Was The Same, le troisième album de Drake
Noah Shebib, alias « 40 », le producteur de Drake en studio pendant l’enregistrement de Nothing Was The Same.

 

Le Roi d’Internet

La conquête du Rap par Drake, c’est aussi grâce à Internet:

En 2015, le rappeur Meek Mill l’attaque  dans une série de tweets. Il accuse Drake de ne pas écrire ses propres paroles, une lourde accusation dans le monde du Rap. Le tweet est relayé plus de 130 000 fois : le clash Drake – Meek Mill est lancé.

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Un des tweets de Meek Mill

 

Drake lui répond à travers Back to Back, un morceau qu’il met à disposition sur la plateforme SoundCloud.

En quelques heures le nombre d’écoutes explose. Back to Back crucifie Meek Mill qui ne répondra jamais. Le morceau sera même nommé aux GRAMMY’s.

Le Canadien gagne la guerre du numérique, Meek Mill est depuis resté muet.

Ses détracteurs réalisent que derrière l’homme sensible se cache un rappeur capable de briser une carrière avec un seul morceau. Une vraie démonstration de force qui vient combler le manque de crédibilité dont Drake souffrait depuis ses débuts.

Une fois Internet dans la poche, Drake y envoie un ovni audio-visuel : Hotline-Bling. Un clip dans lequel il danse à sa façon. Le jour-même, détournements et parodies du clip envahissent les fils Facebook et Twitter. Le tour est joué, Hotline-Bling compte aujourd’hui plus de 700 millions de vues.

Le clip met Drake seul en scène. Sa manière de danser créé rapidement le buzz.
Le clip met Drake seul en scène. Sa manière de danser crée rapidement le buzz.

 

Views, la confirmation

Au fil des albums, Drake a démontré sa capacité à se renouveler. Views est l’album d’un artiste conscient de ses qualités. Comme à son habitude, il a fait fusionner sensibilité et rap dur. Jamais son style n’avait atteint un tel niveau.

Drake pour Views
Drake pour Views

 

L’album s’ouvre sur le surprenant Keep the Family Close, un morceau où le rap est porté disparu. On réalise immédiatement que Drake est une fois de plus sorti des sentiers battus.

Ce qui se confirme avec Controlla et One Dance qui, c’est sûr, vous rentreront immédiatement dans la tête. Pour les tubes de l’été, vous pouvez déjà parier sur ces deux titres.

Enfin, que serait un album de Drake sans Rihanna. Sans surprise, elle a été invitée à poser sa voix sur l’entraînant Too Good.

Une fois de plus, l’excellence est au rendez-vous. Un sentiment de maîtrise totale plane sur Views que Drake aura mis plus de 2 ans à enregistrer.

L’album s’est déjà écoulé à plus d’un million d’exemplaires en une semaine.

Longtemps considéré inoffensif, Drake  enchaîne aujourd’hui ventes records, nominations aux Grammy Awards et tournées mondiales. Force est de constater l’irrésistible ascension du gamin de Toronto venu chanter ses faiblesses.

Comme si personne ne l’avait vu venir.

T.T