Le stage en PQR

Dans l’imaginaire collectif, le journaliste ressemble quasi-systématiquement à cette image un peu dépassée du petit reporter local, un appareil photo argentique autour du cou et un calepin sous le bras. Une rapide recherche sur Google Images vient conforter ce fantasme. C’est en ce petit personnage romanesque que je me suis transformée pendant deux mois, en intégrant la rédaction chartraine du quotidien l’Écho Républicain, pour passer par une étape classique du parcours de l’apprenti journaliste : le stage en PQR. 

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S’il y a une ligne qui semble incontournable sur le CV d’un journaliste, c’est bien le passage par la presse quotidienne régionale, a.k.a. la fameuse PQR. Ultra formateur, il permet de découvrir l’essence du métier. Pour ma première expérience professionnelle dans le monde des médias, c’est au sein de la rédaction chartraine du journal l’Écho Républicain, à Chartres, que j’ai fais mes premiers pas. Fort de cinq agences, le journal a pour mission de couvrir l’actualité de l’Eure-et-Loir et du sud des Yvelines. Créé en 1922, le quotidien est passé dans les mains du groupe Amaury avant d’être récupéré en 2010 par le groupe de presse Centre-France. 

Du rédacteur en chef aux abords austères au rythme intensif, ma vision caricaturale de ce milieu n’était finalement pas si éloignée du réel. Enfin, à quelques détails près. Si j’ai bien noirci plusieurs calepins, j’ai troqué l’appareil photo pour un iPhone. Quant aux autres clichés que j’avais en tête, pas de déception. En premier lieu, la grande salle centrale de rédaction. Abritant une bonne moitié de la trentaine de journalistes qui travaillent pour l’agence chartraine du journal, elle semblait tout droit sortie du film Les Hommes du Président. Je m’attendais presque à voir Robert Redford surgir en brandissant un nouvel élément sur l’affaire Watergate.

Autre rituel incontournable et authentique : la conférence de rédaction, chaque matin à 9h15. Pendant trente minutes, nous devions prévoir les sujets de la journée, répartir les rendez-vous et évènements du planning entre les différents membres de l’équipe, faire le point sur les papiers et proposer de nouvelles idées de sujets. Le tout sous l’œil attentif du rédacteur en chef. Ces réunions étaient toujours synonymes d’excitation car j’arrivais chaque matin sans connaître précisément mon programme du jour, et ressortais de conférence de rédaction avec trois rendez-vous calés dans la journée. Avec ma voiture de fonction estampillée « Écho Républicain », j’empilais les kilomètres de reportage en reportage, alternant entre les bouchons du centre-ville et les routes des campagnes environnantes. Ne pas passer deux mois entiers clouée derrière un bureau face à un ordinateur avec des dépêches AFP pour seule compagnie, mais plutôt au plus près des gens et de l’action, fut un véritable soulagement.

Dans le vif du sujet

Bien sûr, je passais un nombre d’heures relativement conséquent entre quatre murs. Pour plancher sur mes articles, effectuer de longues recherches en amont, me prêter au jeu de l’interview téléphonique et surtout, pour apprendre à dompter le fameux logiciel de gestion de contenus Méthode, d’Eidos Médias. C’était sur ce logiciel que j’accédais au chemin de fer virtuel du journal, et il ne me restait ensuite plus qu’à trouver l’emplacement de mon article. Mais le coeur de mes missions, c’était sur le terrain. Quand je n’étais pas accompagnée par le photographe de la rédaction, c’est avec mon fidèle iPhone que je me chargeais de prendre photos et vidéos, à destination du site web du journal. Échanger avec des acteurs divers, partager des tranches de vie, des expériences et des initiatives fut mon quotidien pendant deux mois. Très égoïstement, la principale raison pour laquelle je souhaite faire du journalisme, c’est pour rencontrer des gens et m’enrichir, me cultiver constamment. Quel plus beau métier que celui qui permet de s’ouvrir l’esprit chaque jour en apprenant à mieux connaître le monde, et donner la parole aux acteurs qui le font bouger ? Côtoyer les gens permet de mieux comprendre et de donner vie à un sujet de manière concrète. Sans établir un véritable rapport humain, il est impossible d’appréhender le sujet dans son intégralité.  

Comme, par chance, j’ai échappé à la fameuse rubrique des chats écrasés, je me retrouvais à faire des grands écarts entre les sujets, passant du tourisme à l’immobilier, de l’agriculture à la culture, d’inondations aux manifestations et, Chartres oblige, à la célèbre cathédrale. J’assistais à des assemblées générales, des conférences de presse, des remises de prix, des spectacles ou des forums, mais mes moments préférés furent sans conteste les échanges en tête à tête. Que ce soit pour discuter religion avec l’évêque de Chartres, loi travail avec des représentants syndicaux ou handicap avec un champion handisport, chacune des ces nombreuses rencontres fut enrichissante. Le rythme et la diversité des sujets traités nécessitent de savoir rebondir et s’adapter à différentes personnalités et différents sujets. Échanger avec quelqu’un qui meurt d’envie de témoigner n’exige pas le même procédé que lorsqu’il faut lui tirer les vers du nez. Parler à un enfant n’a pas grand-chose à voir avec discuter avec un maire ou un jeune entrepreneur. Dans tous les cas, il faut avant tout faire preuve d’empathie tout en gardant un regard critique.

Une expérience enrichissante à tous points de vue

Faire face à des gens aux rangs sociaux si divers, du sans-abri à l’élu local, m’a ouvert l’esprit et m’a surtout permis de développer mon sens du contact. Timide maladive au point de trouver devoir passer un coup de téléphone terrifiant, j’ai peu à peu réussi à mettre de côté mes appréhensions et à prendre confiance en moi. Humainement très enrichissant, ce stage le fut tout autant au niveau technique. Par exemple, j’ai appris l’importance d’écrire de manière succincte et précise. Plutôt habituée aux phrases interminables, j’ai dû énormément travailler sur ce point. Le nombre de pages étant limité et la concurrence entre les cinq rédactions pour obtenir plus de place étant rude, il était impératif de ne pas s’étaler inutilement. Cependant, pas relégués à la dernière page tassés dans un coin, mes articles se retrouvaient parfois en ouverture du journal, et je bénéficiais dans ce cas-là d’une grande liberté dans la mise en page et dans la longueur, seulement limitée par la taille de la page.

Mes différentes missions m’ont aussi enseigné la rigueur et la neutralité. Lorsque j’écrivais des papiers avec des enjeux importants, comme sur un conflit opposant le Conseil départemental à son personnel par exemple, il était primordial de faire attention à ne pas prendre parti et tout contextualiser. Surtout que dans un journal local comme celui-là, sans véritable concurrence dans le département, un papier se retrouve rarement noyé dans un tourbillon d’articles similaires. Les concernés finissent toujours par tomber sur l’article les impliquant.

Si j’ai pu apprendre autant, c’est grâce à quelques membres de la rédaction qui, malgré leurs emplois du temps surchargés, prenaient toujours du temps pour relire mes papiers, me conseiller et m’aider si je butais sur un article. La diversité des journalistes, d’âge et de parcours différents fut enrichissante.

Presse écrite en crise

Dans un registre plus morose, ce stage fut aussi pour moi l’occasion d’observer la crise de la presse papier de l’intérieur. Si l’Écho Républicain est tenu à flot par des acharnés passionnés par leur travail, la plupart de mes collègues posaient un regard assez pessimiste sur l’avenir de leur journal. Lectorat vieillissant qui ne se renouvelle pas, nombre d’abonnements en chute, rentabilisation du site web compliquée, difficulté à trouver sa place entre la presse municipale qui se charge de couvrir les projets, et les réseaux sociaux, vecteur non négligeable de diffusion d’informations au niveau local. Face à tous ces problèmes, le journal mise désormais sur le numérique en développant son application et en étant actif sur les réseaux sociaux. J’ai d’ailleurs pu participer à cette dynamique en effectuant plusieurs live-tweet sur le compte Twitter du journal, ou en écrivant des contenus prévus spécifiquement pour le site, dans des délais beaucoup plus courts que pour le papier.

Mais ce que je retiens, c’est que malgré cette vision inquiétante et tristement lucide de l’avenir de leur profession, une grosse partie de l’équipe restait engagée à 200% dans sa profession, contaminée à jamais par le virus du journalisme. Peu importe la difficulté, la pression, les heures supp’ pas payées et les horaires extravagantes, rares étaient ceux qui se voyaient faire autre chose. Ces difficultés, je les ai côtoyées, aux côtés de trois autres stagiaires, en travaillant gracieusement en totale autonomie et probablement autant que le reste de la rédaction. Et même si ces deux mois ont été assez éprouvants, je suis plus convaincue que jamais que le journalisme, c’est fait pour moi.

Malgré un avenir qu’on tend à prévoir sombre, la presse quotidien régionale reste, à mon avis, la meilleure des école. S’investir dans la rédaction d’un quotidien local permet d’acquérir les bases du métier de journaliste, valable aussi bien sur le web, qu’en télé ou en radio. Imaginer des sujets, trouver et prendre contact avec les acteurs concernés, aller sur le terrain, pêcher des informations intéressantes, écrire rapidement et rigoureusement, développer des rapports humains … Les apprentissages que j’ai tiré de ce stage sont indénombrables. Et puis, voir son nom sur la première page du journal qu’on a vu traîner toute sa vie dans les kiosques, boulangeries et commerces de sa ville d’enfance, c’est plutôt sympa.

Cléa Jouanneau