[Contribution] Brassens, le poète intergénérationnel

Êtes-vous de ces gens qui trouvent que du Maîtres Gims ce n’est pas très bien écrit (pour rester dans l’euphémisme) ? Êtes-vous de ces gens qui trouvent que danser sur une musique qui « ambiance » ça va deux minutes, mais qu’une belle composition ça changerait un peu ? Êtes-vous de ces gens qui voudraient un texte à la fois beau et avec des messages forts ? C’est peut-être l’occasion de vous replonger dans quelques vieux classiques de la chanson française.

J’aurais pu parler de Renaud (qui est toujours debout), de Charles Trenet (qui chante soir et matin) ou encore de Brel (qui fait le vestiaire à l’Alcazar). Mais j’ai préféré vous parler de mon chouchou, Georges Brassens, à travers quelques extraits de chansons que j’apprécie tout particulièrement.

La Mauvaise Réputation (1952)

Interdite d’antenne dès sa sortie, « La Mauvaise Réputation » nous raconte la vie et la mort d’un anticonformiste dans son village. Au fur et à mesure de l’avancement de la chanson, on assiste à une descente aux enfers avec le comportement des villageois évoluant. « Tout le monde médit de moi« , « Tout le monde me montre au doigt« , « Tout le monde se rue sur moi » et « Tout le monde viendra me voir pendu« . Le tout teinté d’une pointe d’humour noir car seuls les muets ne le médiront pas, seuls les manchots ne le pointeront pas, seuls les culs-de-jattes ne se rueront pas et seuls les aveugles ne le verront pas.

Cette chanson exprime toute la bêtise humaine et ce phénomène de répulsion face à des comportements n’étant pas considérés comme « normaux » pour leur aspirations, idées, goûts, manière d’être… Et plus encore que la bêtise humaine, toute la méchanceté de cette dernière qui n’hésite pas à juger et à condamner collectivement sans aucune forme de procès.

Trompettes de la Renommée (1962)

Dans cette chanson, Brassens dénonce ce que l’on pourrait appeler le phénomène « people » ou de surmédiatisation où le moindre morceau de vie privée d’une star peut faire les gros titres, quitte à reléguer les véritables infos au second plan. Et là où le bas blesse, ces scandales et autres regards indiscrets dans la vie privée constitueraient en fin de compte la seule vraie popularité, condamnant les personnes trop chastes pour se dévoiler à l’oubli.

Et aujourd’hui encore (ce qui ne créé aucun tollé de nos jours), on retrouve ce même phénomène de « jeux du cirques qu’il faut offrir au commun des mortels pour sa distraction ». Le poète va alors s’atteler, toute sa chanson durant, à se moquer des moyens de se rendre populaire, quitte à, quelque part, se prostituer pour la gloire et son public.

« Une femme du monde, et qui souvent me laisse
Fair’ mes quat’ voluptés dans ses quartiers d’ noblesse,
M’a sournois’ment passé, sur son divan de soi’,
Des parasit’s du plus bas étage qui soit…
Sous prétexte de bruit, sous couleur de réclame,
Ai-j’ le droit de ternir l’honneur de cette dame
En criant sur les toits, et sur l’air des lampions :
 » Madame la marquis’ m’a foutu des morpions !  » ? « 

Et juste pour conclure avec le passage:

« Sonneraient-ell’s plus fort, ces divines trompettes,
Si, comm’ tout un chacun, j’étais un peu tapette,
Si je me déhanchais comme une demoiselle,
Et prenais tout à coup des allures de gazelle […] « 

Il me semble bon de rappeler que Georges Brassens était ami avec Charles Trenet et n’était pas homophobe pour deux sous. Ne condamnons pas le bonhomme trop rapidement!

Le Temps ne Fait Rien à l’Affaire (1961)

Cette chansonnette n’est pas forcément la plus connue, pour autant, je l’apprécie tout particulièrement pour sa construction et sa légèreté. Pleine de calembours et autres jeux de mots, je ne peux m’empêcher, en l’écoutant, d’avoir un petit sourire sur le coin de la lèvre.

Le message ici est simple: le temps n’a rien à voir avec la sagesse et la maturité. C’est ainsi que cette chanson nous appelle à la modestie car nous pouvons tous être borné et pas forcément plus sage. Et que, quand on est con, on est con.

Les Copains d’Abord (1964)

J’aurais pu vous parler du Gorille ou de Mourir pour des Idées mais il me fallait parler (et sans doute conclure) sur Les Copains d’Abord. Sans doute la chanson qui a popularisé le poète et qui est à présent gravée dans le marbre de la postérité, l’histoire de cette chanson en est simple et charmante: elle conte l’amitié entre deux camarades de classe et comment elle perdura dans le temps malgré les malheurs. Légère, amusante, tragique, belle, il n’y a pas de mot je crois pour dire à quel point je pense que c’est un chef-d’oeuvre. Maître Gims parviendrait-il à caser « Montaigne et la Boétie » dans une chanson de cette légèreté? Ou encore « Sodome et Gohmorre » ? (ndlr : Maître Gims est capable de citer du Jacques Brel, mais cela n’en fait pas un bon chansonnier).

J’aimerais juste citer, pour conclure cet article, les derniers vers de la chanson en hommage à toutes les merveilleuses personnes que j’ai pu rencontrer:

 » Des bateaux j’en ai pris beaucoup,
Mais le seul qui’ait tenu le coup, Qui n’ait jamais viré de bord,
Mais viré de port,
Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards,
Et s’app’lait les Copains d’abord
Les Copains d’abord. « 

Ambroise G.

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