MA GRANDE ENQUETE

A Creil, L’hôpital en soins palliatifs

Entre dysfonctionnements du matériel, risques sanitaires  et violences graves, médecins et patients de l’hôpital de Creil doivent régulièrement faire face à des situations cauchemardesques et dangereuses, sur fond de loi du silence. Enquête.

L'hôpital de Creil, construit en 1978, accuse difficilement le poids des années. Il est jugé vétuste.
L’hôpital de Creil, construit en 1978, accumule les problèmes, au point qu’il devient « l’endroit à éviter »…d’urgence !

La journée est à peine entamée que, déjà, le parking du centre hospitalier se remplit, jusqu’à se surcharger de voitures. Il n’y a que peu de places comparé au flot de malades venant chaque jour se faire soigner dans l’établissement, qui accuse difficilement ses trente-sept années de service public. Le bâtiment, aux façades noires de pollution est niché sur les hauteurs de la ville, au cœur d’un des quartiers les plus défavorisé de Picardie, le Plateau Rouher. Et ce n’est, assurément pas la confiance, qui domine, lorsque l’on se rapproche de ce spectre sale, constitué de ciment et d’acier. Au loin, une silhouette s’avance, maugréant dans l’air. « Je repars chez moi, lance Ahmed, en grimaçant. Il s’éloigne des portes vitrées qui donnent sur le service des urgences de l’hôpital Laennec. J’ai attendu trois heures et demie dans la salle d’attente sans même voir un médecin une fois. J’ai très mal au ventre, Ce n’est pas acceptable », râle le trentenaire, se tenant le ventre d’une main crispée en se dirigeant d’un pas lent et maladroit vers le parking, à présent submergé de voitures. Comme ses patients, le centre hospitalier creillois va mal. Il est au bord du naufrage. Il s’est taillé au fil des ans  une solide réputation d’endroit à éviter. Un pompier en train de fumer une cigarette devant les urgences nous confie même qu’il déconseille aux patients de s’y rendre. « Mais parfois, il n’y a pas le choix, c’est la régulation du 15 qui décide ».  L’hôpital de Creil fait l’unanimité dans le rejet. Dans la presse locale, dans les salles d’attentes, sur internet, les avis négatifs se multiplient. Cet établissement défraie littéralement la chronique. Mais ce paquebot échoué dans un système de santé en plein déroute  est-il vraiment un endroit dangereux, à part dans le paysage des hôpitaux français ? Nous avons voulu en avoir le cœur net..

Au départ de notre enquête, direction la toile. Le web  n’est pas tendre avec le centre hospitalier, référencé sur le site www.hopital.fr/, qui regroupe des avis de patients. Si les internautes saluent dans l’ensemble la qualité d’écoute du personnel, ils sont nombreux à regretter, entres autres, « le matériel vétuste », « les toilettes sales », ou les délais de prise en charge. « Je suis arrivé (aux urgences) à 11h30 du matin, pour une dame de 89 ans, s’insurge Gérard. Elle est passée à 16h30. Puis nous avons attendu pour voir un docteur. Elle a été prise en charge à 20h30, puis de nouveau à 22h30. Puis elle est restée aux urgences dans une chambre toute la nuit. Je suis parti à 23h30 ». Enfin, plusieurs témoignages mettent en avant les problèmes rencontrés avec les ascenseurs du bâtiment, très régulièrement en panne. Ce n’est pas si anecdotique que cela : des patients restent parfois coincés dedans.

Certains  gardent  même en mémoire l’affaire Amine Benali, qui avait, en 2009, un peu plus entaché la réputation de l’hôpital. Ce nourrisson, alors âgé d’une semaine à peine, avait succombé à un germe contracté à la maternité de l’hôpital. Ses parents, Mohamed et Jannick Benali, avaient déposé plainte en 2013, en s’appuyant sur une expertise médicale ordonnée par le tribunal administratif d’Amiens. Celle-ci avait conclu que « le retard de la mise en route du traitement antibiotique avait considérablement réduit les chances de survie du nouveau-né. » De plus, la mère de l’enfant, par ailleurs aide-soignante à l’hôpital Laennec, avait contracté au cours de son séjour une maladie nosocomiale. Cette affaire,  toujours en instruction, est peut-être le premier cas médiatisé ayant mis en lumière les soucis d’hygiène du centre hospitalier. Poussé au désespoir, le père du petit avait tenté de s’immoler par le feu sur le parking. des agents de sécurité le sauveront in extremis alors qu’il s’était aspergé d’essence.

Selon le docteur Loïc Pen, médecin à la tête du service des urgences, ces événements ne sont peut-être pas seulement dus au hasard. « L’hôpital de Creil fait face à de graves problèmes », confie le chef-urgentiste, qui a déjà été mis à pied par sa direction, deux mois en 2013. Entre temps, solidarité du personnel et des syndicats aidants, il a été réintégré par la directrice de l’institution. Depuis, il n’hésite plus à parler lorsqu’il sent que le bien-être des patients est remis en cause. « Les ascenseurs fonctionnent par intermittence. Parfois, il n’y en a qu’un en état de marche. C’est vraiment dangereux, tout est vieux, vétuste », confie l’homme, titulaire à Creil depuis bientôt treize ans. cette rengaine de l’hôpital à la dérive en France est bien connue, mais le centre hospitalier Laennec représente un paroxysme rarement atteint.

« Certains patients deviennent violents car ils ont l’impression de ne pas être pris en considération », docteur Loïc Pen, chef-urgentiste à l’hôpital de Creil

Autre problème récurent à l’hôpital de Creil, surtout aux urgences, les agressions, quelquefois très violentes, entre patients et personnels soignants. Ces incidents prennent parfois des proportions telles que l’hôpital a dû déployer des caméras à l’intérieur du service des urgences, et embaucher des agents de sécurité pour encadrer les débordements. Ces tensions, selon le docteur Penn, trouvent leurs sources dans le fait que « les patients attendent très longtemps avant d’être pris en charge,  ce qui pèse sur leur moral. Certains deviennent violents car ils ont l’impression de ne pas être pris en considération. Ils oublient que cette situation pèse aussi sur nous. » Et le chef du service d’y aller de son analyse, ajoutant que « Creil est une ville très pauvre. Un jeune sur deux du quartier sur lequel est bâti l’hôpital est au chômage. Ici, on fait face à des tensions sociales. Près de 50 nationalités se côtoient sur le Plateau (le quartier où se trouve l’hôpital. Il arrive que des gens ne parlant ni ne comprenant le français viennent pour se faire soigner, la communication entre médecin et patient est alors difficile à établir, ce qui entraîne forcément une hausse du stress et des tensions. Parfois, on a aussi affaire à de véritables racailles, des caïds qui ne respectent rien ni personne, Il arrive que l’on se sente débordé. » 

Les travaux de modernisation s'éternisent faute de moyens financiers. Cela crée, de l'aveu du corps médicale, des situations à risque
Les travaux de modernisation s’éternisent faute de moyens financiers. Cela crée, de l’aveu du corps médical, des situations à risque.

« Aller à l’hôpital de Creil, c’est pénétrer dans un monde à part. », Pascal, ancien patient

Pascal a été témoin de ces incivilités au cours d’un séjour en chambre d’une douzaine de jours. Depuis, le jeune homme « évite scrupuleusement » ce centre hospitalier. Pour lui, qui travaille comme technicien spécialiste en informatique, aller à l’hôpital de Creil, c’est même « pénétrer dans un monde à part. » Il y a deux ans, il a été  hospitalisé dans le service de chirurgie orthopédique après qu’il se soit cassé la jambe. Il raconte, encore presque incrédule d’avoir vraiment vécu cette histoire: « J’ai dû être changé de chambre trois fois en douze jours. Au début, j’étais dans la même chambre qu’un patient d’origine maghrébine qui recevait continuellement du monde. Parfois, il y avait même 15 personnes dans la chambre. En orthopédie, on est sensé ne rien amener d’étranger à la chambre, pas même des fleurs, pour se préserver des maladies nosocomiales.  Mais ses visiteurs ne se gênaient pas pour transformer la chambre en buffet alimentaire. Comme certains n’avaient pas de chaise, ils s’asseyaient sur les coins de mon lit. Alors même que j’y étais allongé. J’avais payé la télé pour l’ensemble de la durée de mon séjour. Mais  les gens qui venaient visiter l’autre patient ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils prenaient la télécommande, mettaient ce que qu’ils voulaient regarder, puis ils la laissaient hors de ma porté. C’était surréaliste. Ça ne c’est pas arrêté là. On m’a mis dans une seconde chambre avec un vieil homme, SDF qui perdait à moitié la boule. Il me réveillait la nuit, poussait des cris, et me demandait si j’arrivais à dormir… Finalement j’ai fini mon séjour dans la chambre d’un ladre qui venait de Senlis et avait fait une chute de cheval. Un bon français bien franchouillard qui fumait des gauloises sur son lit et fleurait  bon l’alcool. Tout ça fait que désormais, j’évite l’hôpital Laennec. »

Des médecins impuissants

Des dysfonctionnements dans l’encadrement des patients qui pourraient s’expliquer en partie par le fait que l’hôpital soit en sous effectif. Il manque des médecins dans les services, qui n’ont d’autre choix que d’accueillir moins de patients. Ainsi, il manquerait, en neurologie, pneumologie, et urologie une dizaine de lit dans chacun des trois services. Plus grave encore, le service de réanimation serait lui aussi touché. Sur les dix-huit places que devrait compter celui-ci, seules douze sont disponibles. « C’est d’autant plus triste que les médecins de ce service sont vraiment dévoués, passionnés et compétent dans leur domaine », regrette l’urgentiste. 

Ce centre hospitalier est le théâtre de défaillances, qui, si elles peuvent paraître anodines ne constituent pas moins de réels dangers, à la fois pour les patients, et les praticiens.

Un état de délabrement qui s’expliquerait par les problèmes financiers de l’hôpital. « Les investissement de modernisation ne sont pas faits car l’hôpital est en déficit. Il n’y a plus d’argent ». Nous avons voulu comprendre pourquoi cet hôpital est à ce point en danger. D’abord, il y a eu la volonté guidée par des choix financiers de fusionner l’hôpital de Creil avec celui de Senlis et donc de fermer certains services qui faisaient doublon. Résultat, c’est un ballet d’ambulances qui trimballent en permanence les patients pour se rendre dans les services des deux hôpitaux, distants d’une dizaine de kilomètres. Ces allers et retours imposés à des patients fatigués coûtent une fortune à la collectivité. 

Des finances qui prennent l’eau 

Le trou dans les finances du centre hospitalier, qui dispose d’un budget annuel de cent-dix millions d’euros, atteindrait quatre millions d’euro pour la seule année en cours, et s’élèverait à quelques trente-cinq millions d’euros en totalité. Et les choses n’iront pas en s’arrangeant, puisque le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) et l’Objectif National de Dépense de l’Assurance Maladie (ONDAM) pour 2016 prévoiraient des économies à hauteur de 50 millions d’euros, à répartir entre les différents hôpitaux de la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais/Picardie. « L’hôpital s’enlise dans une situation au dénouement prévisible. Il paie 4 millions d’intérêts par an, une somme qui ne cesse de croître, pendant que les fonds alloués à l’établissement baissent d’années en années. Il va dans le mur ».

Des choix financiers qui pourraient avoir de graves conséquences, d’après le praticien : « Les services d’urgence et les appareils de scans se trouvent au rez-de-chaussée, donc on est en mesure d’y traiter un problème.  Mais s’il survient quelque chose dans les étages, une panne d’ascenseur aurait des conséquences dramatiques. Il y a de ça quelques années, tout les ascenseurs étaient tombés en panne en même temps, Il avait fallu transporter les patients en civière par les escaliers, à la force des bras. Rien de fâcheux n’était arrivé, mais on a marché sur la corde raide. » De même, le revêtement en lino qui recouvre les sols de l’hôpital est, à de nombreux endroits, déchiqueté, laissant les dalles de bétons apparentes. « C’est tout sauf hygiénique, poursuit le docteur Pen, qui explique que le béton, d’aspect poreux, constitue un véritable nid à bactéries et un repaire à infections nosocomiales ». Aussi et bien que « Les personnels d’entretiens fassent de leur mieux pour nettoyer les surfaces avec des produits aseptisant », ces solutions s’apparentent davantage, selon le docteur Pen, à du « bricolage réalisé avec les moyens du bord. » Résultat palpable dénoncé dès 2013 par le docteur Pen : « Nous n’avions que sept infirmières de jour pour accueillir les patients ». En réalité, il en faudrait une dizaine. Cette situation n’a guère évolué. Les quatre heures d’attente en moyenne aux urgences s’expliquent principalement par cette carence en personnel.

Cette doctrine du « faire beaucoup avec pas grand chose », Julien, 26 ans, y a été confronté en 2009. Le jeune homme à la silhouette sportive a été conduit à Creil en ambulance pour faire soigner sa clavicule cassée au cours d’un match de foot. « Après le diagnostic, ils ont voulu me doter d’un corset pour maintenir mon os cassé, mais ils se sont aperçu qu’il n’y avait plus ma taille. En fait, il ne restait plus que des corsets pour enfants. Je suis plutôt sec, donc j’ai pu m’engoncer dedans, mais je ne sais pas comment on aurait fait si j’avais pesé 15 ou 20 kilos de plus. 

Contactée à de nombreuses reprises, la direction de l’établissement n’a pas donnée suite à nos sollicitations répétées. Une manière de communiquer qui n’est pas sans rappeler les propos du docteur Pen : « Ici c’est l’omerta. Personne ne parle car ils ont peur d’être ostracisés ». La loi du silence a encore de beaux jours devant elle…

Quentin Galand

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