MON ENQUETE

Aviation lowcost : des équipages à bout de souffle

Des billets d’avion toujours moins chers demandent les passagers ! Les compagnies lowcost l’ont bien compris. Mais, à 200 millions d’euros l’avion, impossible de le rentabiliser en vendant des places à prix cassés. Une politique qui conduit les compagnies à demander à leur personnel toujours plus de travail et de contraintes pour gagner toujours moins. Au détriment de la sécurité des passagers.

Le 3 janvier 2004, le Boeing 737 Flash Airlines s’apprête à assurer la liaison Charm el-cheick/Paris avec à son bord 148 personnes. Deux minutes après avoir décollé, l’avion se crashe dans la Mer Rouge, ne laissant aucun survivant. Parmi eux, 134 français. Après enquête, la fatigue est reconnue comme responsable. L’accumulation de temps de services importants, de temps de repos inférieurs aux normes et l’enchaînement de nombreux levers matinaux auraient conduit l’équipage à être dans un état de fatigue et d’épuisement critiques. Causes de la désorientation spatiale du pilote conduisant au décrochage de l’avion.

Autres exemples : en 2012, victime de l’inertie du sommeil, confus et désorienté, un pilote d’Air Canada qui venait de se réveiller croit voir un avion américain arriver en face de lui. Pour l’éviter, il fait plonger brusquement son avion. Bilan, 16 blessés. L’autre appareil était en fait à mille pieds au-dessous et ne présentait aucun danger. La même année, lors d’un vol New York/Las Vegas, Clayton Frederick, pilote de ligne chez JetBlue, compagnie régionale américaine connue pour imposer un temps de travail hors norme, commence à délirer en plein vol. Le copilote, craignant pour sa sécurité et celle de l’avion profite du fait que Clayton parte aux toilettes pour verrouiller le cockpit. Une fois au contact des passagers, il délire et évoque même la présence d’une bombe dans l’avion. Il sera finalement évacué sur une civière à l’aéroport d’Amarillo, au Texas.

Des incidents plus fréquents qu’on ne le croit, heureusement pas toujours mortels mais souvent peu pris en compte par les compagnies. En 2014, un drame a été évité de peu : le 28 juin, un avion de Brussels Airlines transportant une centaine de passagers a été intercepté en plein vol par un avion de chasse français entre l’Espagne et Zaventem (Belgique). En arrivant au-dessus de la France, le pilote, fatigué, décide de faire une sieste. Alors qu’il survole Nantes, les contrôleurs aériens français tentent pendant dix minutes de prendre contact avec lui. En vain. En l’absence de contact, l’avion, considéré comme suspect, est pris en chasse par un Rafale. Après avoir vérifié l’identité du pilote et s’être assuré que l’appareil ne change pas de trajectoire, il se positionne à côté du cockpit et tente un contact visuel pendant plusieurs minutes. Sans réponse, le pilote du Rafale décide de le suivre jusqu’à sa destination. Le copilote était lui aussi endormi et ne s’est réveillé qu’au dernier moment.

Autre exemple : durant un vol à destination de la Crète assuré par la compagnie lowcost Transavia, le pilote, après deux heures et demie de vol décide d’aller aux toilettes. Quand il revient il ne parvient plus à entrer dans le cockpit. Le copilote ne répond pas. Le pilote utilise plusieurs fois l’interphone. Aucune réaction. Il arrive finalement à entrer et constate que le copilote est totalement endormi. Il reprend les commandes et fait atterrir l’avion.

Pour Pierre, pilote de ligne, « il est très facile de s’assoupir sans même s’en rendre compte, cela m’est déjà arrivé.

 

 

 

Aujourd’hui il est reconnu que la fatigue du personnel navigant est la première cause de 20% des crashs aériens. Pour le syndicat national des pilotes de ligne, la fatigue serait responsable de 60% des incidents ou accidents de vol.

Ce drame a d’ailleurs amené la Commission Européenne et plusieurs députés français de droite comme de gauche à proposer, au cours d’une réunion, 40 propositions concernant la sécurité aérienne et les conditions sociales d’exploitation des pilotes. Publiées dans un rapport, ces propositions 11 ans après, ne sont toujours pas mises en application.

La fatigue des équipages, un sujet tabou

 

On l’a vu à travers de multiples exemples, très souvent le copilote ne voit pas que son commandant de bord s’est assoupi, il agit donc comme si le pilote était tout a fait éveillé, ou pire il s’endort également. Selon l’ECA (European Cockpit Association), entre 50 et 54% des pilotes avouent s’être assoupis sans avoir averti leur collègue.

La fatigue reste un sujet tabou pour les compagnies aériennes et souvent, les pilotes eux-mêmes la sous-estiment. Pourtant, selon Philipp Von Schoppenthaü, secrétaire général de l’ECA, « la fatigue affecte le jugement et l’habileté des équipages à réagir rapidement, avec des conséquences potentiellement désastreuses ». Sujet tellement tabou, que les pilotes d’une compagnie asiatique ont monté un leurre pour alerter le grand public :

En 2011, les pilotes de la compagnie Cathay Pacific ont mis en ligne la photo d’un pilote endormi aux commandes d’un Airbus A340 à 11 000 mètres d’altitude.

photo pilote cathay pacific
photo du pilote de cathay pacific endormi

Le cliché fait le tour du monde et inquiète les voyageurs. Il venait confirmer une étude réalisée en 2010 sur 372 pilotes. Elle montrait que 6% d’entre eux étaient victimes d’un gros coup de fatigue à l’amorce de la descente. Après enquête, il a été révélé que cette photo était un leurre, une provocation de la part des pilotes pour souligner que la fatigue en vol est une réalité trop souvent négligée. Les pilotes de cette compagnie ne se sont d’ailleurs pas arrêtés là. En septembre, le journal South China Morning Post a publié une lettre signée par 100 pilotes de la compagnie dans laquelle ils dénoncent un planning de travail trop lourd dû à l’expansion de Cathay Pacific. Ils se disent « épuisés » et « usés ». Un état qu’ils affirment être un réel danger pour la sécurité des vols. Un phénomène difficile à quantifier pour une raison simple : si un pilote reconnaît être en état de fatigue lors d’un accident, il sera automatiquement blâmé ou même licencié par sa compagnie.

Les pilotes ne sont pas les seuls concernés. En 2013, la Commission Européenne adoptait un texte qui allongeait déjà le temps de travail du personnel naviguant à 17 heures de travail continu sans pause ni repos à bord. En accumulant les périodes travaillées et les périodes de stand-by, ils pouvaient rester éveillés plus de 20 heures d’affilée. Des horaires qui entraînent « un niveau de fatigue quatre fois supérieur à la limite d’alcool autorisée pour le vol » selon une étude de l’Association britannique des pilotes de ligne. Les hôtesses de l’air et les stewards subissent également des horaires de travail étirés, des effectifs réduits et un salaire toujours plus bas. Sofia Lichani, ex-hôtesse de l’air chez Ryanair, dans un livre Bienvenue à bord (1), dénonce des conditions de travail insupportables. Avant la mise en application en avril 2008 de la réglementation européenne qui limite les temps de vol à 900 heures par an, Sofia avait effectué en 2007, 1 500 heures. A la même époque, le personnel d’Air France effectuait 550 heures par an. (voir ITW)

Des conditions également dénoncées par Gregory Schermann, ancien pilote de ligne chez Ryanair.

Gregory Schermann, pilote de ligne Ryanair
Gregory Schermann, pilote de ligne ayant récemment démissionné de chez Ryanair

« On est carrément dans de l’esclavage moderne ! dit-il. La manière dont la compagnie traite les femmes en cabine, la pression qu’elle leur mettent, en particulier pour vendre diverses prestations est insupportable. Sans compter la présences de « passagers mystères », des personnes déguisées en passager chargées d’espionner les employés. »

Une hôtesse chez Ryanair est payée 850 euros par mois pour 12 heures par jour, une somme largement inférieure au smic. Un cas loin d’être isolé. Gregory, un ex pilote de la compagnie pointe également du doigt la pression permanente qui pèse sur l’ensemble de l’équipage, le ton autoritaire et méprisant. Le but, rentabiliser à tout prix.

« A la moindre erreur, on reçoit un mail de rappel à l’ordre, souvent quand on consomme plus de carburant que prévu », précise Grégory.

La méthode lowcost 

 

Ryanair, une compagnie qui utilise des moyens plus que douteux pour rester dans la course et être la plus compétitive possible. L’ensemble des salaires est généralement inférieur aux autres compagnies. Pour éviter tout mouvement social, personne n’a le même contrat et seulement 30% du personnel a un contrat Ryanair. Les autres sont engagés par des sociétés privées. D’une base à l’autre, le salaire peut augmenter ou diminuer de 20% selon le pays où elle se trouve et selon le type de contrat. Rappelons l’affaire qui avait poussé la compagnie à fermer sa base marseillaise en 2011. Soupçonnée d’avoir déclaré en Irlande 120 employés français, elle avait été mise en examen pour « travail dissimulé ». Impossible donc, pour les équipes de se plaindre car ils ne sont jamais d’accord. De toute façon, pour Gregory, Ryanair n’est pas une entreprise où il est possible de dialoguer : « Ryanair est une dictature. Il n’y a pas de négociation possible avec eux, si on n’est pas content c’est la même chose, on part c’est tout. C’est ce qui leur permet de réagir au marché avant les autres. »

Des pratiques communes à beaucoup d’autres compagnies lowcost. Certaines compagnies canadiennes incitent leurs pilotes à camoufler leurs heures réelles de travail dans leur journal de bord. Les pilotes peuvent faire jusqu’à douze vols dans la même journée. Des horaires de travail difficiles mais souvent acceptées par les jeunes pilotes qui commencent dans le monde aérien.

Pour résister à cette fatigue, certains ont trouvé une solution pour le moins originale. Ainsi, en 2011, l’Indonésie connaît un véritable boom du transport aérien et le nombre de passagers augmente de 20% par an. La compagnie indonésienne Lion Air en profite et signe la même année les deux plus gros contrats de son histoire : 234 Airbus A320 pour 18,4 milliards d’euros et 230 Boeing 737 pour 21,7 milliards de dollars. Cette évolution entraîne une demande croissante de pilotes et l’augmentation des temps de vols de nuit comme de jour toujours plus longs. Certains pilotes, pour être plus performants, se mettent à consommer de la drogue. En février 2012, Syaiful Salam, pilote indonésien de 44 ans est arrêté dans son hôtel avec 0,04 gramme de méthamphétamine, une drogue particulièrement puissante. Il s’apprêtait à piloter trois heures après. Son cas n’est pas isolé, c’est le cinquième pilote de Lion Air qui est arrêté pour consommation de cette drogue avant un vol.

Des moyens donc plus que contestables motivés par une demande toujours plus forte de voyages à prix cassés. Pierre, pilote de ligne, parle même de « schizophrénie » des passagers. Ils veulent un billet à 50 euros mais la sécurité et le confort d’une compagnie nationale classique. En réalité, les avis sont partagés. Camille, jeune étudiante, voyage souvent avec des compagnies lowcost. Sa seule motivation, le prix : « Je ne fais pas attention à la compagnie. Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir voyager pour pas cher. Le plus souvent je vais sur un site comparateur et je choisis systématiquement le prix le plus bas. »

Tandis que pour Guillaume, français résidant à Los Angeles, souvent en déplacement « il est important de s’informer. Je ne prends jamais de lowcost pour des moyens ou longs courriers, ajoute-t-il. Je n’ai pas confiance pour ma sécurité. A la limite pour un petit déplacement et encore ! je m’informe sur la compagnie d’abord. »

 

Des législations européennes qui favorisent l’épuisement 

« Les nouvelles lois européennes et en particulier l’ultra libéralisation du secteur sont un réel problème pour la sécurité des vols », confirme Thierry Le Floc’h ancien vice président de la Cometec, partie technique du SNPL. Cette année, une nouvelle législation européenne concernant les règles de temps de vol a été adoptée. Une législation « nécessaire pour éviter une concurrence déloyale », selon Thierry Le Floc’h, car elle s’applique pour la première fois à l’ensemble des compagnies lowcost mais « qui joue avec le feu ». En effet, elle autorise 22 heures de vol consécutives à trois pilotes et 14 heures consécutives à deux pilotes. Une réglementation dangereuse sachant qu’une étude de la NASA sur les conséquences de l’épuisement sur la concentration, prouve qu’au bout de 8heures les réactions sont considérablement affectées par la fatigue et qu’un réel repos réparateur est nécessaire.

Déjà en 2012, l’AESA (agence européenne de la sécurité aérienne) avait adopté une nouvelle limitation des temps de vol autorisant notamment 12 heures de vol de nuit et obligeant les pilotes à rester éveillés parfois 22 heures d’affilée. Une réglementation qui vient « empirer une situation déjà existante » selon l’ECA (european cockpit association). Selon 6000 pilotes de l’association, « l’augmentation des vols de nuit, le manque de temps de récupération, d’endroits où se reposer, optionnels dans les avions, et la longueur excessive des escales » accentueraient cet état de fatigue.

 

Des pilotes au rabais

 

Ce développement économique conséquent du monde aérien implique une demande croissante de pilotes de lignes dans les années à venir. Pas moins de 533 000 pilotes devraient êtres recrutés par le constructeur américain Boeing entre 2015 et 2033. Les professionnels du secteur craignent une formation au rabais.

Pour devenir commandant de bord, de nombreuses années d’expérience sont requises. Chez Air France, huit à douze ans d’expérience plus un minimum de 700 heures par an sont requis, dix à quinze ans chez British Airways et huit ans pour Singapore Airlines.

Aujourd‘hui, un nouveau type de formation défini par une école et une compagnie aérienne appelée la « Multi crew Pilot Licence » (MPL) permet de devenir pilote de ligne en seulement 45 semaines. Une licence express qui inquiète Marc Houalla directeur de l’ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile, mondialement reconnue). « Dans ces métiers, dit-il la phase de maturation est primordiale et l’expérience a beaucoup d’importance. »

Une formation au rabais, trop courte, est dangereuse car elle n’apprend pas au pilote comment piloter un avion seul. Pour Thierry Le Floc’h, c’est un point fondamental de la formation d’un pilote :

 

 

Philip von Schöppenthau, secrétaire général de l’ECA (European Cockpit Association) s’inquiète du fait que de plus en plus de pilotes sont « produits » en très peu de temps.

Cette association s’est récemment inquiétée de l’émergence d’un nouveau concept, « crew relief co-pilot ». Autrement dit, des pilotes formés uniquement à remplacer les pilotes en phase de croisière. Ils ne savent donc ni décoller, ni atterrir.

Philip von Schöppenthau déclare, scandalisé au Figaro en 2014, « Ce serait comme délivrer un permis de conduire à un chauffeur de voiture, l’autorisant uniquement à conduire sur autoroute sans avoir appris à y entrer ou à en sortir ! »

(1) Editions Les Arènes, 2015 

Le quotidien infernal d’une hôtesse de l’air lowcost

couverture livre Sofia Lichani
« Bienvenue à bord », livre témoignage de Sofia Lichani, Les Arènes, 2015

A 22 ans, Sofia Lichani rêve de devenir hôtesse de l’air. En 2006, elle intègre la compagnie lowcost Ryanair chez qui elle reste pendant 55 mois. Après sa démission en 2010, elle écrit Bienvenue à bord, un livre paru aux éditions Les Arènes, dans lequel elle raconte son expérience cauchemardesque.

Est-ce que vous avez déjà vu des hôtesses ou stewards s’endormir dans l’avion?

Cela pouvait arriver à mes débuts, sur les vols de 6 heures du matin (qui impliquent de se lever à 3 h 15), quand précisément la plupart des passagers dorment. Malgré l’interdiction formelle, il nous arrivait de piquer du nez pendant une poignée de minutes, à l’abri des regards grâce aux rideaux qui séparaient les sièges du personnel navigant de la première rangée de passagers. Par la suite, Ryanair a supprimé ces rideaux.

 

Est-ce que Ryan Air dépasse les temps de vol réglementaires ?

Depuis avril 2008, les temps de vol sont limités par un règlement européen à 900 heures annuelles. Avant cela, chez Ryanair, on pouvait aller en théorie jusqu’à 2000 heures. Pour ma part, j’en avais fait près de 1500 en 2007. Toute la subtilité réside dans le calcul des heures : le compteur ne tourne que lorsque l’avion quitte le sol. Du coup, malgré mon millier d’heures de travail annuel à partir de 2008, je ne dépassais pas les limites règlementaires… Pour vous donner un ordre d’idée, le personnel navigant d’Air France faisaient à la même époque environ 550 heures par an. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne travaillaient pas assez, mais plutôt que chez Ryanair, on en demande beaucoup trop.

sofia lichani
Sofia Lichani, ex hôtesse de l’air chez Ryanair

Y a t il des syndicats qui vous défendent chez Ryanair ? Si non, pourquoi?

Il n’y a pas de syndicat de PNC chez Ryanair. Notre contrat précise d’ailleurs que « toute participation à un mouvement social » entraîne un licenciement. Il y a peu, des pilotes se sont regroupés au sein du Ryanair Pilot Group, non reconnu par O’Leary, qui combat ce syndicat auquel auraient adhéré plus de la moitié des pilotes Ryanair. Il a intenté un procès en Irlande à un autre syndicat de pilotes dont le forum internet accueillait sous pseudonyme leurs collègues Ryanair, afin de connaître leur identité. Ryanair a été débouté, et a écopé d’une lourde amende.

Quel a été l’élément déclencheur de votre rupture avec Ryanair? Dans quel état physique étiez vous?

C’est la fermeture de la base de Marseille qui m’a incitée à partir. J’avais réussi un entretien d’embauche pour une compagnie d’aviation d’affaires. J’ai donc démissionné pour ne pas avoir à partir à Charleroi, où la compagnie m’avait affectée. Suivant le droit français, j’aurais dû être licenciée avec des indemnités.

J’étais épuisée. Il faut bien comprendre qu’une heure de travail passée en avion entraîne une fatigue très spécifique : gonflement des jambes, du ventre sous l’effet de la pression, sans parler des rayonnements cosmiques, néfastes sur le long terme. Avec quatre vols quotidiens, des changements de températures constants, et en plus la pression permanente de Ryanair, il y a de quoi fatiguer sérieusement.

Philippine Delormeau

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