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Pure Players français : quelle avenir pour la presse en ligne ?

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Rue 89, Atlantico, Slate, Owni. Ces dernières années, la France a connu une multiplication des medias indépendants nés en ligne. Un phénomène important puisqu’il a été remarqué sur le plan international. Dans un rapport du Reuters Institut on évoque l’émergence en France d’une nouvelle vague de start-ups journalistiques. Surtout présent à l’échelle nationale, les sites natifs d’internet ou ceux que l’on appelle les pure players commencent aujourd’hui à investir le domaine de l’information locale et régionale au détriment de la presse quotidienne régionale classique que nous connaissons.

Les avantages économiques de la presse en ligne sont bien connus : des coûts variables faibles (diffusion, production..), possibilité d’attirer un public venant du monde entier mais aussi la possibilité d’analyser les habitudes de chaque lecteur et ainsi adapter son approche marketing. Cependant ce nouveau modèle économique reposant sur un régime de rendements croissants pose un nouveau problème, celui de la rémunération. Malheureusement, avec l’arrivée de la presse en ligne souvent gratuite, aujourd’hui la grande majorité des sites d’informations ne peuvent compter que de manière très marginale sur les contenus et les abonnements payants. Une réalité qui créée une forte dépendance aux financements provenant du marketing et de la publicité. Une dépendance qui complique fortement la mise en place d’affaires rentables puisque, contrairement aux medias traditionnels, le domaine publicitaire d’internet est hyperconcurrentiel. Les annonceurs sont rares pour beaucoup d’espaces publicitaires. Google impose d’ailleurs aujourd’hui une « convention de performance » qui établit un retour sur investissement publicitaire à partir du taux de clic au détriment d’une convention plus traditionnelle fondée sur l’image et la notoriété des medias. Cette tendance actuelle du marché fait sans cesse diminuer les prix des encarts publicitaires et oblige les sites d’information à gagner toujours plus d’audiences.

Un modèle économique compliqué pour ces petites structures que sont les pure players. N’ayant souvent pas les moyens humains ou financiers pour s’engager dans une telle bataille pour l’audience, leurs options sont limitées. Limiter les dépenses, trouver d’autres sources de revenus et adopter un modèle de production lowcost, notamment en faisant participer de plus en plus les internautes.

Une durée de vie limitée et une concurrence difficile

 

Tandis que les pure players connaissent de plus en plus de succès auprès du public et des professionnels des medias, il est parfois très difficile pour ces derniers de durer dans le temps et de garder leur indépendance.

Rue 89, un des pionniers, a été racheté 7,5 millions d’euros par le Nouvel Observateur fin 2011. Malgré 2 millions de visiteurs uniques par jour, des sources de revenus diversifiées et une bonne image médiatique, le magazine n’a pas réussi à devenir réellement rentable 5 ans après sa création.

En décembre 2012, après plusieurs rebondissements c’est au tour d’Owni de déposer le bilan. L’un des projets de pure player français pourtant les plus innovants, le magazine n’est pas parvenu à trouver un modèle économique suffisant pour supporter son projet : une information de qualité, sans publicité, gratuite et reposant uniquement sur la prestation de service aux entreprises.

Contrairement à ces derniers, Slate semble avoir trouvé la bonne recette. Il traite l’actualité sous forme d’analyse et de débat, souvent sous un angle différent de tous les autres magazines. Afin de minimiser ses coûts, le site internet emploie une équipe permanente au nombre limité et se contente souvent de simplement traduire les articles de sa version américaine. Un fonctionnement qui paye car en 2012, Johan Hufnagel, rédacteur en chef de Slate affirmait qu’il avait atteint l’équilibre parfait. Pari réussi pour une plateforme principalement financé par la publicité.

Philippine Delormeau

Le palais de justice des Batignolles, un projet nécessaire loin de faire  l’unanimité

 

Chantier des Batignolles
Chantier des Batignolles

 

Après des années de polémiques, de controverses et de batailles procédurales, le nouveau palais de justice de Paris a finalement été inauguré le 5 mai dernier dans le quartier des Batignolles. Un projet conséquent et extrêmement coûteux pensé depuis 2009 pour remplacer le tribunal de grande instance de l’île de la cité devenu trop petit et vieillot mais qui est loin de faire l’unanimité.

Le 5 mai dernier, la garde des sceaux, Christiane Taubira et la maire de Paris, Anne Hidalgo, ont posé ensemble la première pierre du nouveau palais de justice de Paris. Un bâtiment de verre de plus de quarante étages imaginé par l’architecte star de Beaubourg, Renzo Piano et construit par le groupe Bouygues dans le XVIIème arrondissement. Un projet à long terme qui a bien failli finir dans le décor !

 

Un chantier controversé

 

En 2009, c’est Nicolas Sarkozy, alors président de la République, qui donne le coup d’envoi et décide de construire un nouveau palais de justice aux Batignolles et ainsi transférer le TGI de Paris devenu trop à l’étroit dans ses locaux de l’île de la cité.

Coup d’envoi de la polémique, en 2012, l’appel d’offre est lancé sous forme de PPP (partenariat public privé), et est remporté par le groupe BTP avec une facture non négligeable de 2,7 milliards d’euros. Un contrat aussitôt accusé de favoriser Bouygues, d’avoir un coût beaucoup trop élevé et qui entraîne un sentiment de trahison chez certains qui soutiennent que, « cette décision a été prise dans le dos des Parisiens ».

De plus, à l’arrivée de la gauche au pouvoir la même année, Christiane Taubira elle-même estime le coût de ce PPP trop excessif et tente de le renégocier sans succès face à un contrat déjà bien scellé en faveur du groupe Bouygues.

Cependant, la bataille ne s’arrête pas là et l’association, « la justice dans la cité », composée majoritairement d’avocats dénonce à son tour le partenariat public-privé et se lance dans une longue bataille judiciaire destinée à arrêter le projet, qui effraie alors certaines banques partenaires qui se retirent du projet. Conséquence, le chantier débuté à l’origine en été 2013, est obligé de fermer pendant plus de 8 mois. L’Etat refuse d’assumer les conséquences du procès, Bouygues ne veut pas porter la faute seul et la relation entre les deux parties se tend de plus en plus. Un désaccord qui présageait un moment l’abandon total du projet.

En octobre 2014, la Cour d’appel décide finalement d’éconduire « la Justice dans la cité », et le gratte-ciel, initialement prévu pour 2016 est alors reporté à 2017.

Cependant, pour le corps judiciaire, il y a, dans ce projet une grande incohérence, et serait en fait, une « fausse bonne idée », car malgré un concept très moderne, l’organisation reste obsolète.

Une architecture « hyper moderne »

 

Ce nouveau palais de justice destiné à remplacé les locaux ,devenus trop petits et vieillots, du tribunal de grande instance de Paris constitue en soi, un petit événement pour la ville.

En effet, aucun immeuble de cette taille n’avait été construit à Paris depuis les tours du front de Seine dans les années 90, et en 2014, c’est l’architecte reconnu, Renzo Piano, qui relève le défi.

Au programme, un immeuble en forme de triangle de 38 étages recouvert de verre, des jardins suspendus, trois étages souterrains, tous ça soutenu par 18 000m2 de fondations.

Un bâtiment lumineux et ultra moderne jugé nécessaire par la plupart du corps judiciaire, qui reconnaît que les salles du palais actuel sont souvent inadaptées, difficiles d’accès et sans moyens techniques modernes.

En effet, le futur nouveau palais de justice de Paris, entièrement modernisé, regroupera notamment les services du TGI répartis actuellement sur cinq sites ainsi que ceux du tribunal de police , mais aussi 90 salles d’audiences au lieu de 31 pour l’actuel palais et il centralisera également l’ensemble des tribunaux d’instances de chaque arrondissement, obligeant alors le célèbre 36 quai des orfèvres à les accompagner.

En revanche, la Cour d’Appel et la Cour de Cassation, resteront elles, dans l’ancien palais de l’île de la Cité. Un rafraîchissement qui est donc, certes nécessaire, mais qui reste incomplet et contradictoire pour beaucoup.

 Un nouveau système interne très mal organisé

Pour la quasi-totalité des avocats, penser un tel projet, immense et ruineux, sans regrouper tous les services semble aberrant.

                                                  

                                                   Chiffres importants

 

– 120 000 m2 : la superficie totale des quatre ensembles de verre

– 1 hectare : superficie des jardins suspendus

– 140 mètres : hauteur totale du bâtiment

– 700 millions d’euros : coût brut de la construction sans la maintenance de Bouygues

– 12 : nombre de grues sur le chantier

– 62 000 m2 : superficie totale des locaux du futur TGI de Paris.

– 2 000 : nombre de travailleurs sur place à temps plein

– Entre 8 000 et 9 000 : le nombre de personnes présentent quotidiennement au palais.

– 2,7 milliards d’euros : coût total du projet

– Juillet 2013 : début des travaux

– 30 juin 2017 : date de livraison du projet

– Automne 2017 : mise en service du nouveau palais de justice

 

Pour la Cour de Cassation, le problème semble moins se poser car ce ne sont uniquement les avocats de conseils qui s’y rendent et généralement ils ne pratiquent pas les autres juridictions. Cependant, ce sont les mêmes avocats qui pratiquent le TGI et les Cours d’Appel, procédures, formalités et plaidoiries et aujourd’hui, un avocat peut suivre plusieurs procédures en même temps et passer ainsi d’une chambre à l’autre dans la même journée. Avec le futur palais, il faudra donc obligatoirement, pour chaque cabinet, un avocat dans chaque palais. Un coût important qui se répercutera donc automatiquement sur le client.

De plus, le projet est concentré sur de nombreuses salles d’audience, alors que la plaidoirie disparaît de plus en plus et l’absence d’au moins une très grande salle d’audience est totalement contradictoire pour un bâtiment aussi moderne, sachant que les actions de groupe, dites class actions aux Etats-Unis et qui organisent un regroupement des plaignants pour une action contre une société (exemple affaire Mediator), sont maintenant autorisées en France.

Cela étant, selon maître Jeambon, associé principal à la tête d’un cabinet d’avocats depuis plusieurs années, aucun projet n’est parfait et l’actuel palais de justice devenu bien trop petit et obsolète se devait d’être moderniser au profit de ce « palais de la modernité », qui, on l’espère rectifiera ses erreurs avec le temps.

Un début de carrière qui se complique

 

Henri Daudet est un jeune collaborateur dans un petit cabinet indépendant du VIIIème arrondissement de Paris. Pour lui, comme la grande reforme judiciaire l’année dernière, ce grand déménagement de l’île de la Cité jusqu’aux Batignolles n’est pas un sujet à prendre à la légère car en tant que jeune avocat, il est conscient qu’il sera le premier touché.

C’est dans une grande salle vide, haute de plafond, à la moquette impeccable et sombre, dans une ambiance limite austère qu’Henri passe la plupart de ses journées. Caché derrière un grand bureau, le jeune collaborateur à les yeux fixés sur son écran et les sourcils froncés. Il n’est pas très grand, pourtant, son air sérieux, un peu froid et incorruptible impose tout de suite le respect.

Il est 9h du matin et pourtant ses yeux sont plongés dans un dossier aussi grand que lui depuis déjà une bonne heure. Dans quelques heures, il part défendre une affaire très importante en Cour d’Appel et même s’il est déjà hyper bien préparé, Henri est d’un naturel inquiet et un grand perfectionniste. Il est donc impossible pour lui d’arriver sans avoir révisé au moins une dernière fois ! Une nature qu’il avoue volontiers et avec le sourire.

« on me dit souvent que j’ai l’air stressé mais pas du tout je suis juste concentré, je suis jeune collaborateur et c’est le genre d’affaire que je n’ai pas les moyens de perdre ! »

Digne fils du célèbre Alphonse Daudet, Henri est un très bon élément du cabinet, il est apprécié de tous mais surtout admiré ! Selon maître Jeambon, son supérieur hiérarchique, c’est d’ailleurs lui qui est sans aucuns doutes le meilleur élément de la boîte. Cependant, quand on lui parle de l’avenir de sa profession, Henri à un avis bien tranché sur la question, et pour lui, ce déménagement « incomplet » du palais de justice de Paris va lui compliquer sérieusement la tâche. Derrière son ordinateur, il fait défiler les articles sur le fameux projet et quelques grognements étouffés par sa barbe s’échappe de temps en temps de sa bouche.

« je ne comprends pas pourquoi on se lance dans un tel projet si c’est pour mal le faire ! Regardez tout à l’heure je vais traiter deux affaires au palais, si j’avais du aller aux Batignolles j’aurais du me dédoubler pour tout faire ! »

En effet, dans quelques heures Henri doit défendre deux affaires, une en Cour d’Appel, et une au tribunal de grande instance, il va passer d’une chambre à l’autre en l’espace d’à peine quelques heures, quelques heures pendant lesquelles il ne sera pas au bureau pour travailler sur d’autres affaires. Sans oublier que, s’ajoute à cela, les horaires souvent très approximatives des audiences.

« on ne sait jamais à quelle heure notre affaire va être appelée, vous vous rendez compte si on doit en plus faire des allers retours dans Paris ?! C’est impossible ! »

La logique, c’est la base de tout pour Henri. Pour lui, il est impossible de concevoir un système aussi peu cohérent. D’ailleurs, après une lecture un peu plus approfondie de son journal, ses yeux montent au ciel d’un air agacé, « aujourd’hui, on plaide de moins en moins, l’oral se perd et ils nous construisent toujours plus de salles d’audience alors que nous n’avons même pas de quoi accueillir l’arrivée imminente des actions de groupe à l’américaine »

Pour Henri, avocat destiné au droit des affaires et donc aux contentieux entre entreprises, il était indispensable que ce nouveau projet, placé sous le signe de la modernité, prenne en compte l’arrivée des class actions en France.

Henri pousse un dernier soupir tout en se levant de sa chaise. Il est bientôt l’heure de s’en aller plaider, il enfile sa veste, remet sa cravate en place, ferme le premier bouton, enfile son grand manteau en toile beige sur le dos, prend sa serviette dans une mains, ses dossiers dans l’autre et en passant la porte de sortie, lance d’un air moqueur à un de ces collaborateurs, « ne t’inquiète pas, bientôt tu viendra prendre l’air avec moi ! »

Philippine Delormeau

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