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Le cinéma français : arrêtez de massacrer notre enfance !

Il serait peut-être temps d’ouvrir les yeux : notre enfance est massacrée. Et ce au nom de « l’art », de la « culture ». Je veux parler ici des adaptations cinématographiques de nos héros de la bande dessinée. 

Gaston Lagaffe, le plus grand inventeur du siècle passé : qui a besoin d’une bombe radioactive pour détruire un pâté de maison ou deux quand un instrument de musique fait le même travail… La radioactivité en moins ?  Éternel employé de bureau aux éditions Dupuis, il passe son temps à procrastiner et à esquiver les corvées diverses et variées, ainsi qu’à converser avec Jules-de-chez-Smith-en-face. Antimilitariste, pratiquement un hippie, feignasse de première qualité, il s’agit du Saint Patron officieux des employés de bureaux, le modèle auquel, en fin de compte, nous aspirons tous à devenir, un jour ou un autre.

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Et ce brillant personnage va bientôt subir la malédiction qui s’est abattue sur bien des héros de notre enfance : l’adaptation en prise de vue réelle au cinéma. Dans un film français.

Le cimetière des héros

C’est bien simple : le cinéma français a anéanti mon enfance. Prenons l’exemple d’un des Français des plus célèbres au monde, le Général de Gaulle excepté. Mis à part Mission Cléopâtre, à mes yeux, l’image d’Astérix au cinéma est à jamais fanée. Mixage de plusieurs histoires entres elles quand elles n’ont aucun lien de base (Astérix et Obélix contre César ainsi qu’Astérix et Obélix : au service de sa Majesté), ajout d’amourette ridicule et n’ayant concrètement aucun intérêt (Astérix aux Jeux Olympiques), c’est dans une longue déchéance que s’est abîmé l’incarnation de ce que l’on peut appeler « l’esprit Gaulois ».

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Blagues parfois forcées, humour de situation parfois déplacé, au vu du caractère initial de la bande dessinée, ajout d’intrigues secondaires (ou qui se souhaitent primaires) ne servant, en définitive, que de McGuffin… Il est triste de voir qu’entre 1999 et 2014, les quelques adaptations cinématographiques des aventures d’Astérix qui valent la peine d’être vus sont uniquement les dessins animés. Je dis « il est triste » étant donné les talents peuplant le cinéma français et ayant participé aux films : Gérard Depardieu (merveilleux et touchant dans Cyrano de Bergerac), Edouard Baer (Edouard Baer), Christian Clavier (un Napoléon des plus magistraux), etc…

Et ce n’est pas le seul à avoir subi la nouvelle Malédiction d’Infogrames (on prend tes héros de bande dessinée favoris et on en fait un magistral étron). Lucky Luke (Les Dalton sont relativement sauvés par le duo Eric & Ramzy… Et encore) qui vit une aventure ne semblant être qu’un mixage de plusieurs histoires dans lesquelles on déverse des éléments de scénario inutiles à l’histoire… Joué par Jean Dujardin ( un Oscar n’est pas suffisant pour expier ce carnage), on voit un Lucky Luke qui vit une romance réciproque… Quand on sait qu’il fut souvent courtisé, et même marié une fois dans La Fiancée de Lucky Luke (le temps d’un album et de faire sortir le promis initial de la prison…) sans qu’il y ai de véritable réciprocité de sa part, on a l’impression de voir l’oeuvre originale être trahie et poignardée à plusieurs reprises…

Et là, je ne parle que des plus iconiques, des héros ayant traversé les générations ! Parce que si l’on continuer à se faire mal, on peut parler des moins connus (quoique…), comme Les Profs ou L’Élève Ducobu.

Je vais commencer par L’Elève Ducobu, pour une raison assez simple : il s’agit de l’histoire d’un éternel cancre, celui qui se rebelle contre l’autorité incarnée par son professeur, Gustave Latouche, vêtu comme ceux que l’on surnommait « les Hussards noirs de la République ».

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Ducobu et Léonie Gratin, sa voisine, représentent l’insouciance de notre enfance, ceux auxquels nous souhaitons, d’une façon ou d’une autre, ressembler, mélangeant l’ingéniosité du cancre à l’intellect de la surdouée (bien qu’il soit sous-entendu que Ducobu soit lui aussi surdoué, mais que le système scolaire soit inadapté, d’une façon ou d’une autre, à son cas). De plus, on y trouve un fond de morale, de sagesse qui, loin de contraster avec l’humour présent dans les dessins, permet de remettre les pieds sur terre.

Quant à Gustave Latouche, leur professeur, bien qu’il soit l’incarnation d’une figure autoritaire et (pratiquement) intransigeante, parvient à devenir attachant, auprès des lecteurs, notamment quand on apprend qu’il était lui-même un cancre dans sa jeunesse (voire « le pire élève » que son professeur ait eu…)

Et c’est pourquoi j’ai été… Déçu de voir qu’un film en prise de vue réelle allait sortir sur eux. Certes, les acteurs sont ressemblants, mais il n’y a pas la même magie, la même attraction : les aventures de Ducobu dépassent rarement la dizaine de pages, et il n’y a guère de continuité entre les différents gags. Car en définitive, ils n’en n’ont pas besoin, chaque gag se suffisant à lui-même.

Le même cas de figure revient avec la bande dessinée Les Profs : mis à part l’année se déroulant, et l’apparition de gags concernant les vacances scolaires, il n’y a guère de véritable continuité chronologique. Les acteurs (mis à part Stéfi Celma) n’ont même guère de ressemblance avec les personnages qu’ils sont supposés incarner, ce qui contribue à la mauvaise impression ressentie par les spectateurs. La suite du film joue plus sur la présence d’une gueule connue à l’affiche que sur un véritable lien avec l’univers original.

Des stars, oui, n’importe lesquelles, non.

C’est sans doute ma principale critique : pour tenter d’attirer le public, on cherche à recruter n’importe qui afin de sauver le film. Je m’insurge ici, par exemple, contre le choix de Kev Adams dans le rôle de Boulard, version améliorée de Ducobu puisqu’il est parvenu jusqu’en classe de Terminale, où il stagne depuis au grand désespoir de ses professeurs. Le choix de l’humoriste est évident : attirer ses fans pour tenter de rentabiliser au mieux  un film au scénario proche de celui des « Sous-Doués passent le Bac« , en moins amusant.

Mais cette critique peut s’étendre aussi aux autres films pré-cités : même si Elie Semoun possède un physique proche de celui de Monsieur Latouche (le nez à la Cyrano en moins), il ne possède pas le charisme de ce dernier. On aurait presque envie de plaindre ce petit instituteur de campagne semblant incapable de manifester une certaine autorité… Ce qui est triste, étant donné qu’Elie Semoun possède un véritable talent d’acteur…

Le problème, ici, vient surtout du fait que l’on va choisir des stars, à l’instar de Kev Adams, ou bien des noms connus du cinéma français dans le but d’avoir des personnalité en tête d’affiche, simplement pour s’assurer une bonne sortie en salle. Il serait pourtant préférable de faire son choix en fonction des talents des acteurs, de l’univers dans lequel ils évolueront, et dans le cas d’adaptation, de s’assurer de leur ressemblance physique avec le rôle qu’ils auront à jouer.

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(Oui, je signifie par-là qu’il serait bon de faire un autodafé avec certains scénarios. Et certains acteurs. Et certains réalisateurs.)

Notons qu’une critique similaire peut s’appliquer au doublage de films étrangers : souvenons-nous de la polémique qui suivit l’annonce de la présence de Squeezie au casting de Ratchet & Clank dans le rôle de Ratchet, ainsi que l’ajout de quelques Youtubeurs français dans des rôles secondaire. Bien des puristes (et des non-puristes) crièrent au scandale, arguant que le distributeur français (et la boîte de doublage) privilégiaient les rentrées d’argent à l’esprit original de la licence, tandis que la version originale du film (en anglais), bien que comportant quelques célébrités (comme Stallone) parmi les doubleurs, avait conservé la majorité des voix originales.

Ne restons pas dans le négatif

Bon, il est vrai que j’ai tiré à boulet rouge sur le cinéma français et sa tendance à faire de mauvaises adaptations. Pourtant, tout n’est pas aussi sombre : l’adaptation de Seuls, par exemple, semble promettre par un scénario rassemblant au mieux (d’après la bande-annonce) un maximum d’éléments des différents livres, tout en conservant une certaine cohésion.

Enfin, les films d’animations ne sont pas en reste et permettent, outre de le fait de garder une patte graphique proche de l’original, de mettre en place une certaine dynamique, des expressions faciales plus éloquentes et de jouer sur les poses physiques des personnages. Or, la France a un grand talent en matière d’animation, puisque Miraculeuse Coccinelle et Wakfu, deux séries d’animations françaises, se sont très bien exportées, tandis que trois films d’animations, dont deux adaptations (Le Petit Prince et Astérix : le Domaine des Dieux), faisaient partie des meilleurs films français ayant eu le plus de succès à l’étranger en 2015.

Peut-être est-ce l’occasion de se poser la question : Gaston Lagaffe mérite-t-il une adaptation cinématographique ? Qui sait, peut-être, après tout, on peut peut-être en tirer une aventure loufoque à la façon de Spirou ? Mais est-ce que cela doit être une production en prise de vue réelle ? Clairement, non. Ce serait perdre le charme qui fait de ce anti-héros un personnage aussi attachant.

Antoine Barré

Le Mal et la sexualité

La sexualité, dans la fiction, semble être une des nombreuses façons de départager les protagonistes et les antagonistes. Toutefois, il est à noter qu’un même schéma se dégage de  la description des rapports sexuels des différents personnages, contribuant à la mise en place d’un cliché tenace.

[A noter que cet article est une série de réflexions de la part de l’auteur, issu de ses lectures]

Au commencement

Tout débuta tandis que je lisais le premier volume de Nécroscope, écrit par Brian Lumley. Un Nécroscope, c’est une personne capable de converser avec les morts, un peu comme un Nécromancien, en fait. Sauf que les deux disciplines sont fondamentalement différentes : la Nécroscopie est un don, la Nécromancie, un savoir. Et pour pratiquer la Nécromancie, il est nécessaire de désacraliser le corps du macchabée pour lui arracher ses secrets (au sens littéral du terme) . Entendons par-là que le Nécromant est obligé de détruire le corps de la personne qu’il interroge à mains nues, de briser les côtes, les poumons, le cœur, etc… Quand le Nécroscope a tout simplement besoin de s’asseoir près d’une tombe pour converser avec un défunt et apprendre auprès de lui.

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Boris Dragosani pratiquant la Nécromancie

Dans le récit de Brian Lumley, son héro (Harry Keogh) est un Nécroscope, tandis que l’antagoniste du premier volume (Boris Dragosani) est un Nécromancien. Le premier est apprécié par les morts, car il leur permet de tromper l’ennui et la monotonie du trépas, tout en partageant avec lui leurs connaissances, sachant ainsi qu’elles ne seront donc pas perdues à jamais. Le second, par contre, est détesté, haï par les défunts puisqu’il profane leurs corps pour découvrir leurs savoirs.
On a donc deux personnages, aux capacités proches, mais chacun défini à un spectre opposé à l’autre.

A priori, vous vous demandez quel est le rapport avec le titre de cet article. Et vous avez raison, c’est pourquoi j’en viens aux faits. Les deux personnages, Harry Keogh et Boris Dragosani, vont vivre leurs premières expériences sexuelles dans ce premier volume, chacun sous la « gouverne » d’un mentor. Mais c’est là où les choses diffèrent : Harry va avoir l’appui d’un grand libertin du XVIIème siècle (si je ne m’abuse), tandis que Boris sera « contrôlé » par son professeur en nécromancie : Thibor Ferenczy, Vampyre de son état, celui qui donna son surnom à Vlad l’Empaleur tout en se vantant d’avoir forcé plus d’une centaine de femmes… Bref, tout un programme.

Et, bien entendu, la description de ces premiers rapports diffère grandement : là où Harry Keogh va emmener sa petite amie au 7ème ciel (je dirais « littéralement » s’il avait pu installer un moteur de fusée sous son lit), la partenaire de Boris reste marquée par cette étreinte, et il est sous-entendu qu’elle fut pratiquement violentée, au point où le Nécromancien s’en prend ensuite à son professeur en lui demandant si cette agressivité était nécessaire (ce à quoi il répond peu ou prou : « Oui. »).

Je ne suis pas choqué aisément, ayant lu Sade, j’ai eu un aperçu assez détaillé des bas-fonds dans lesquels l’être humain peut plonger afin d’assouvir ses pulsions. Toutefois, la présence de ces scènes m’a interpellé. Était-ce réellement nécessaire de démarquer ainsi les protagonistes, alors qu’ils sont tous deux décrits comme des opposés et interprétés comme tels par le lecteur ?

Non. Mais cela permet de les différencier plus encore, et force le lecteur à ressentir une certaine antipathie envers Dragosani. Dans le second volume, Vampyri, la sexualité est à nouveau usée dans une forme violente par l’antagoniste, Yulian Bodescu, ce dernier s’en servant pour mettre sous son emprise sa cousine et sa tante (voire sa propre mère, si les sous-entendus sont clairs). A nouveau, l’on peut se demander si cela est réellement nécessaire. La réponse est une nouvelle fois « non ». Cela sert juste à montrer à quel point l’antagoniste est mauvais, tout en usant d’une déviance sexuelle qui n’est pas admise dans les canons moraux de notre société.

Jusqu’où va le terrier

A la suite de ces lectures, je me suis posé la question : a quel point la sexualité était-elle représentée dans la fiction, notamment afin de souligner les travers des antagonistes ? En fait… Assez souvent, notamment dans les genres littéraires Fantastique, Fantasy ou de Science-Fiction. En effet les auteurs, jouant sur le fait que les différents personnages représentés sont totalement fictifs, ont parfois tendance à exagérer certaines scènes, quitte à partir dans les extrêmes les plus sordides.

[L’auteur de ces lignes n’échappe pas à cela, puisque dans la Partie 4 de Rédemption, Lust, membre de la Ghost Division et donc faisant partie des antagonistes du récit, torture et massacre un officier britannique durant leur étreinte.]

Comme je l’ai dis, la sexualité est souvent utilisée dans la fiction afin de montrer jusqu’où un antagoniste peut aller dans l’immoralité, puisque c’est l’occasion de surenchérir. La série L’Épée de Vérité, de Terry Goodkind, donne un assez bon aperçu de cela. Les Mords-Siths, par exemple, dans le premier volume des antagonistes puis des alliés de Richard Rahl à partir du second volume, sont brisées à trois reprises de façon psychologique lors de leur formation, notamment par l’usage du viol, qu’elles le subissent, ou bien qu’elles y assistent tandis que c’est un membre de leur famille (en l’occurrence leurs mères) qui y est exposé.

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Par la suite, il est fortement sous-entendu qu’elles usent d’une forme alternative (et fort violente) de la domination sexuelle afin de parvenir à leurs fins, c’est-à-dire le « dressage » d’êtres humains.

Toujours dans le cycle de L’Épée de Vérité, deux des principaux antagonistes sont eux aussi décrits ne pouvant se satisfaire que dans la violence de leurs rapports : Darken Rahl, qui viole et tue (tout en partageant cette caractéristique avec de nombreux autres Rahl, dont deux de ses enfants…), et l’Empereur Jagang, qui impose des rapports, ou des humiliations sexuelles, aux Sœurs de l’Obscurité venues le rejoindre.

La violence sexuelle, dans la fiction littéraire, est une façon de faire éprouver au lecteur une antipathie pure envers les personnages capables de s’abaisser à de telles extrémités.
Parmi les sévices les plus courants infligés lors d’actes de torture, on remarque la présence du viol. Ce dernier a (malheureusement) prouvé son efficacité : souillure, rejet, blessures autant physiques que mentales, les victimes n’en ressortent jamais indemnes et sont durablement brisées. Il s’agit d’un moyen de dominer sa victime et la rabaisser. Tout au long de L’Épée de Vérité, bien des personnages, protagonistes comme antagonistes, sont menacés à plusieurs reprises de viol, ou bien en font les frais, quand bien même cela n’est qu’exprimé.

Toutefois, on peut opposer à l’exemple de L’Épée de Vérité le personnage de Dracula, dans le roman épistolaire du même nom. Hors, en réalité, il s’agit de l’exception qui confirme la règle. Le personnage de Vlad « Tepes » III Basarab Draculea, dans le roman d’Abraham Stoker Junior, est assez intéressant dans son écriture. En effet, le récit est construit autour d’une certaine sensualité présente dans les rapports entre les personnages… On peut notamment prendre en compte les efforts de Van Helsing et de ses compagnons cherchant à préserver au plus longtemps la vie de Lucy Westenra en lui offrant volontiers leur propre sang. Et pourtant… Si l’adaptation cinématographique de 1992 (réalisé par Francis Ford Coppola) montre une certaine romance se développant entre Mina Harker et Dracula et atteignant son paroxysme lors d’une scène où l’érotisme se mêle à la sensualité…

… Dans le roman, la scène est bien plus sordide, jugez-en plutôt :

« Sur le lit près de la fenêtre gisait Jonathan Harker, le visage congestionné, la respiration pénible, comme s’il était dans un état d’hypnose. Agenouillée à l’autre bout de l’autre lit, le plus près de nous, la silhouette blanche de sa femme. A côté d’elle se tenait un homme […]. De la main gauche il tenait les deux mains de Mrs Harker et les écartait le plus possible du corps ; de sa main droite, il lui avait saisi le cou, obligeant son visage à se pencher sur sa poitrine. La chemise de nuit blanche était éclaboussée de sang et un mince filet rouge coulait sur la poitrine dénudée de l’homme. La scène présentait une terrible ressemblance avec une scène plus familière – par exemple un enfant que l’on oblige à avaler un brouet qu’il n’aime pas. »

Difficile de ne pas faire d’amalgame avec un rapport sexuel oral forcé : Dracula assujettit sa proie, en l’occurrence Mina, l’empêche de se mouvoir et la plaque contre lui, tandis que ses yeux « brûlaient d’une terrible passion« . La jeune femme, à l’inverse, est dégoûtée par l’acte auquel elle est forcée, et effectue un véritable rejet à l’encontre d’elle-même quelques minutes plus tard, en se rendant compte qu’elle a souillé de sang la chemise de son époux :

« Impure ! Impure ! Je ne puis plus le toucher, ni l’embrasser ! Quelle horreur : être à présent sa pire ennemie ! Celle qu’il doit à présent craindre le plus au monde ! »

L’étreinte que Dracula a ainsi imposé à Mina est toute aussi violente et brutale que celles de Boris Dragosani, Darken Rahl et encore bien d’autres antagonistes.

Et la parité ?

Et oui, il n’y a pas que des hommes qui font office d’antagonistes dans la fiction littéraire, les femmes ont aussi droit à leur représentation. Mais leur traitement diffère quelque peu.
Les hommes sont décrits majoritairement comme violents, voire au comportement pratiquement bestial. A l’inverse, les femmes sont perçues comme des manipulatrices, des séductrices jouant de leurs charmes afin de parvenir à leurs fins.

Milady de Winter, dans Les Trois Mousquetaires, est un assez bon exemple de ce genre d’écriture de personnage.

Gaby Sylvia dans le rôle de Milady de Winter
Gaby Sylvia dans le rôle de Milady de Winter

Tout au long de l’histoire, elle est perçue comme l’archétype de la femme fatale (celui revenant le plus souvent quand on traite d’un antagoniste féminin), au sens strict du terme puisqu’elle mène John Felton et Buckingham à la mort, manipulant le premier en lui contant une sordide histoire de mœurs concernant le second. On en apprend beaucoup sur sa carrière criminelle, marquée par la séduction et la mort de ses amants, qu’elle les ait poussé au suicide ou bien qu’elle les ai tué de sa propre main (deux d’entre eux, outre Athos, sont connus). Sa féminité est sa meilleure arme : croqueuse d’hommes, elle les mènes à leur perte tout en leur faisant miroiter ses charmes.

Cette différence de traitement entre les sexes peut résulter de l’idée répandue que les femmes sont, contrairement aux hommes, des roses fragiles… Mais hérissées d’épines et en réalité aussi dangereuses que des serpents.

En fin de compte…

La majorité des auteurs vont chercher à distinguer les héros de leurs adversaires en jouant sur un « effet-miroir », c’est-à-dire que leurs motivations, leurs caractères, voire leurs physiques vont s’opposer en tout point.

Or, le sexe est perçu comme la quintessence de l’intimité, à un point confinant pratiquement au sacré. De nombreuses religions ont un avis particulier et tranché sur la sexualité, tandis que de nombreux contes mythologiques tournent autour de la sexualité (#TeamZeus). Cela n’est pas qu’une étreinte passionnée entre deux êtres, c’est aussi la création de la vie, la création passant par la femme. Le fait de mettre en place des antagonistes possédant une sexualité violente, c’est présenter une profanation de cette intimité sacrée et, dans le cas où l’antagoniste est une femme, c’est l’instrumentalisation d’un élément sacré intrinsèque à elle-même.

Antoine Barré
(Je remercie Jigsaw et Aela pour la relecture)

Le Cycle de Merlin, une performance théâtrale

La Poursuite du Bleu et la Compagnie en Eaux Troubles nous proposent de revisiter la légende arthurienne avec Le Cycle de Merlin, adapté de Merlin ou la terre dévastée, écrit par Tankred Dorst. Que vaut cette pièce de théâtre ? Mes impressions…

Difficile de ne pas connaître le mythe arthurien. Ne serait-ce qu’avec la littérature, qui débute vers 540, on approche d’une centaine d’œuvres et sagas, tandis que l’on peut dénombrer plus d’une trentaine d’adaptations cinématographiques et télévisuelles, dont la plus connue en France reste sans doute Kaamelott d’Alexandre Astier. Et ce, sans compter les bandes-dessinées, jeux de sociétés, jeux vidéo et autres adaptations musicales qui furent inspirés par les exploits du Roi Arthur et des Chevaliers de la Table Ronde.

Il s’agit d’un des mythes fondateurs de notre culture, et il s’agissait d’un exercice périlleux que de monter une pièce sur le sujet, pour des troupes aussi « jeunes » (la Compagnie en Eaux Troubles a « seulement » 5 ans d’existence). Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Revisiter la légende

Le problème avec les histoires tournant autour de la Table Ronde, sans mauvais jeu de mots, c’est qu’on les connait toutes, et qu’il est difficile de les réinventer, de leur insuffler un nouveau vent de jeunesse. Et pourtant, cela reste possible. Ici, Merlin converse avec son Lucifer de père, ce dernier tentant de faire comprendre à son fils qu’avec ses dons, il peut réussir là où son géniteur ne peut, c’est-à-dire mener l’homme à la damnation éternelle. Surtout quand ces dons s’accompagnent de la capacité à voir dans le futur :

Merlin : Je vois des hommes brûler dans des fours !
Le Diable : Belle époque !

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De par son refus, et de par son souhait de voir cette table ronde entourée de chevaliers, Merlin va ici poser les fondations de l’histoire arthurienne. L’épée dans la pierre, les chevaliers, le célèbre amour entre Guenièvre et Lancelot, Mordred, la Quête du Graal, la Fée Viviane, la Chute d’Arthur… Tout est conté dans cette saga théâtrale, qui n’a rien à envier aux grandes productions hollywoodiennes.

Performance et endurance théâtrales

Il s’agit-là d’une véritable performance, en matière d’art, et une véritable leçon d’endurance. En effet, le Cycle de Merlin est divisé en deux parties, aussi appelés « Cycles » : la Table Ronde et les Terres Dévastées. Et chacune de ces parties dure pas moins de quatre heures, entrecoupées par des entractes toutes les deux heures et, si l’intégrale vous tente, une heure de pause entre les deux parties.

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Si, pour les spectateurs les moins patients, cela peut sembler éprouvant, que dire pour les acteurs ? Durant au moins quatre heures, ils courent, sautent en tous sens, s’interpellent, se chamaillent, se réconcilient, chantent et dansent…

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De plus, chacun des acteurs joue plusieurs personnages, qui se différencient par leurs accoutrements, leurs attitudes, leurs maquillages, et il est parfois nécessaire de passer de l’un à l’autre en moins d’une minute ! Et pourtant… Non seulement les acteurs y parviennent, mais ils sont en plus capable de brouiller les pistes, au point que l’on cherche à déterminer qui est le personnage initial.

Un développement des personnages trop restreint

Sans doute ma seule véritable critique à l’encontre des personnages que l’on peut voir dans la pièce : le développement de ces derniers est bien trop restreint, et l’on souhaiterait avoir plus de détails concernant certains personnages, ou des explications plus poussées quant à leurs destins. Au lieu de cela, il semble qu’on nous laisse délibérément avec des questions sans réponse, ce qui est dommage, même si cela ne se voit que durant le deuxième Cycle.

Toujours est-il que, mis à part ce seul point négatif, les deux pièces sont très agréables à regarder, l’enthousiasme des acteurs aide grandement à oublier le temps qui passe, la mise en scène, bien qu’épurée, stimule l’imagination et la bande sonore a le mérite de coller parfaitement à l’ambiance. Bref, un spectacle à la hauteur de ses prétentions.
Si vous souhaitez aller le voir, voici une vidéo d’explication sur la production du spectacle et son financement, faite par deux des membres de la Poursuite du Bleu :

Le Cycle de Merlin, une adaptation et une mise en scène par Paul Balagué, d’après l’oeuvre originale de Tankred Dorst : Merlin ou la terre dévastée. Théâtre du Soleil, la Cartoucherie, à partir du 13 Octobre 2016, une production de La Poursuite du Bleu.

Antoine Barré

La dissection de la barbarie

Barbares : le retour n’est pas qu’une énième sonnette d’alarme tentant de nous avertir, nous pauvres Occidentaux, du danger du phénomène Daesh, loin de là.

Non, c’est beaucoup plus que cela, c’est un retour aux sources, à l’origine de la définition, ou DES définitions du mot « barbare », que nous propose Vincent Aucante dans son ouvrage.
10 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à cet ancien directeur culturel du Collège des Bernardins pour écrire son livre. Il ne s’agit pas d’un roman mais d’une courte « encyclopédie » sur un sujet d’actualité, tandis que la France fut encore endeuillée à deux reprises cet été, le soir du 14 juillet avec un « fou » chargeant la foule assemblée pour assister au feu d’artifice, au volant d’un camion, et le 26 juillet avec le meurtre du Père Hamel. Ce sujet, c’est la barbarie.

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Comment définir un barbare ?

C’est un des défis de ce livre, et de son auteur. Dans l’imaginaire collectif, le barbare, c’est celui qui affronte la civilisation et cherche à la mettre à bas au moyen de la violence. Notre histoire regorge d’exemple, allant du sac de Rome de 410, « supervisé » par Alaric 1er au régime nazi d’Adolf Hitler. Toujours dans l’imaginaire collectif, le barbare, c’est le primitif, celui qui, par manque d’éducation ou d’intelligence, va s’attaquer violemment à ce qu’il ne comprend pas.

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Pourtant, le barbare, ce n’est pas que cela. Le barbare était, au départ, celui qui était étranger à la civilisation grecque, sans pour autant montrer une quelconque hostilité envers cette dernière. Puis, au fil du temps, et des civilisations, les Grecs, et les Romains, se sont rendus compte qu’aux yeux d’autres civilisations, ils n’étaient que des barbares, puisqu’ils étaient extérieurs à ces mêmes civilisations.

Au fil des époques, différents peuples et civilisations se sont vues attribuer le sobriquet de « barbares », en fonction de la sensibilité du ou des pays les attribuant vis-à-vis de leurs « cibles », mais aussi des différences de cultures entre les différents protagonistes.

« La culture barbare ? Je ne savais même pas qu’il y en avait une… »

Oui, c’est sûrement ce que vous vous dites actuellement. Et pourtant… Oubliez Conan, oubliez le Barbare de Naheulbeuk ou de Diablo, car le vulgus pecus du barbare ne ressemble pas (trop) à une brute épaisse qui ne pense qu’avec ses muscles (le cerveau est un muscle, mais il est difficile de se servir de ce dernier pour tenir une lance et frapper son ennemi avec).

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Représentation moyenne du barbare en pleine réflexion

Les Mayas, par exemple, bien que considérés comme « barbares » par les conquistadors, ont eu une riche culture, principalement orale. De plus, une grande partie des civilisations dites « barbares » étaient à la « pointe du progrès », pour l’époque, notamment en matière de féminisme : les femmes guerrières, telles que les légendaires Amazones, voire les reines comme Boadicea, étaient en réalité nombreuses, et les femmes avaient un pied d’égalité avec les hommes… Quand elles n’étaient pas esclaves, s’entend.

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La barbarie de la culture

De plus, outre le barbare en terme de peuple, d’individus, ce livre a le mérite de nous parler des fort nombreux exemples où les civilisations (au sens où on l’entend, c’est à dire « des peuples évolués, démocratiques, etc…) ont cédé au chant des sirènes, et où les Etats ou les individus auront choisi de laisser la barbarie dicter leurs actes et leurs choix.

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Mais là où nous nous contenterions simplement d’observer à la loupe le nazisme ou le communisme tel qu’il fut mis en oeuvre en Chine et en URSS, Vincent Aucante nous fait voir d’autres mouvements du même acabit, parfois passés sous silence. La Révolution Française et le génocide vendéen (parfois relaté comme « des escarmouches contre des rebelles/des brigands vendéens » dans les cours d’Histoire…), le génocide rwandais, les révoltes juives du IIème siècle ou bien l’exploitation des « sous-hommes » par le biais de la prostitution, de la colonisation ou de l’esclavage, tout cela est minutieusement analysé, tout en donnant un résumé succinct des événements.

Quid de l’actualité ?

Une question que l’on peut se poser… Mais c’est en analysant tous les éléments exposés dans cet ouvrage que l’on peut comprendre cette nouvelle barbarie qu’est le terrorisme islamiste, en partant de ses origines, avec la vision pervertie de l’Islam qu’ont imposé de nombreux pays du Golfe qu’est le salafisme, aux différents moyens de résistances à notre disposition.

Le ton général du livre risque de heurter certains lecteurs ou lectrices, par sa brutalité et l’honnêteté de l’auteur à appeler un chat, un chat. Israël, le catholicisme, les Bédouins, tout le monde y passe, et c’est sans fard que ce livre, aisé à lire, se découvre à nous.

Barbares : le retour, écrit par Vincent Aucante et édité chez Desclée de Brouwer, 18€90 sur la Fnac.

Antoine Barré

Richard III, la meilleure création de Shakespeare ?

Richard III est un personnage machiavélique, cruel et détestable. Du moins, c’est ce que Shakespeare a tenté de nous présenter. Et, se faisant, il a sans doute créé un de ses meilleurs personnages, sinon le meilleur, le plus abouti.

Et bien quoi ? Roméo et Juliette ? Mièvre à souhait. Quant à Macbeth et Hamlet ? Ils ne dépareraient pas dans un épisode de Game of Thrones (remarquez, comme Richard III, mais on y reviendra.), pour autant, il leur manque un petit quelque chose. Le Viol de Lucrèce ? Ce poème est magnifique et très bien écrit par ailleurs, et relate ce qui provoqua la chute de la monarchie romaine, c’est à dire le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin, fils de Tarquin le Magnifique si j’en crois mes souvenirs de cours de latin.

Mais Richard III… Comment vous dire…
En fait, la pièce entière est un synopsis de GRR Martin, entre le meurtre commandité de son frère, celui de ses deux neveux, la mise à mort de l’ancien chambellan du roi (qui l’avait pourtant soutenu) et celles de nombreux de ses anciens soutiens, suivi par une sorte de semi-inceste puisqu’il cherche à épouser sa propre nièce pour asseoir son pouvoir… On voit que le type est un salaud complet. Sauf que… Par rapport aux autres personnages de Shakespeare, non seulement il le sait, mais il s’en réjouit, comme preuve un passage de son monologue marquant le début de la pièce :

Mais moi qui ne suis pas formé pour ces jeux folâtres,
ni pour faire les yeux doux à un miroir amoureux,
moi qui suis rudement taillé et qui n’ai pas la majesté de l’amour
pour me pavaner devant une nymphe aux coquettes allures,
moi en qui est tronquée toute noble proportion,
moi que la nature décevante a frustré de ses attraits,
moi qu’elle a envoyé avant le temps
dans le monde des vivants, difforme, inachevé,
tout au plus à moitié fini,
tellement estropié et contrefait
que les chiens aboient quand je m’arrête près d’eux !
Eh bien, moi, dans cette molle et languissante époque de paix,
je n’ai d’autre plaisir pour passer les heures
que d’épier mon ombre au soleil
et de décrire ma propre difformité.
Aussi, puisque je ne puis être l’amant
qui charmera ces temps beaux par leurs,
je suis déterminé à être un scélérat
et à être le trouble-fête de ces jours frivoles.

Il le dit, il l’avoue, il apprécie le fait d’être le pire salopard que la Terre ait porté. Et cela en fait sans doute la meilleure construction de personnage exécutée par Shakespeare. Certes, il se justifie par sa disgracieuse apparence qui le rend hideux au point que les chiens lui aboient dessus quand il est proche d’eux.

Richard III incarné par Ian McKellen
Richard III incarné par Ian McKellen

Richard III et les femmes

C’est un être machiavélique, c’est-à-dire dépourvu de sens moral, un être sournois et perfide : Il se marie à la veuve de l’une de ses victimes, avant de la faire assassiner par le poison. Ses agissements effraient jusqu’à sa propre mère qui pleure ces actes barbares. Il assassine ensuite ses neveux, qui furent écartés du trône après une accusation de bigamie lancée sur la Reine Elizabeth… Malgré cela, il doit consolider la base de son pouvoir. Et donc doit se marier, une nouvelle fois. Il choisit alors sa nièce, dont les frères ont péri dans la Tour ou sous le couperet du bourreau.
Quand il vient voir sa belle-sœur, la Reine Elizabeth, pour lui parler de sa fille, cette dernière répond :

Doit-elle donc mourir pour cela ? Oh ! laisse-la vivre,
et je corromprai ses mœurs, je souillerai sa beauté ;
je me calomnierai moi-même, comme infidèle au lit d’Édouard,
et je jetterai sur elle le voile de l’infamie,
pourvu qu’elle puisse vivre hors de l’atteinte du meurtre sanglant !
J’avouerai qu’elle n’est pas fille d’Édouard !

Vous imaginez, vous, être capable d’inspirer une telle frayeur qu’une ancienne reine propose par elle-même de souiller sa réputation et son honneur, et faire de même pour sa fille ? Cersei a du chemin à faire, enfin, si elle sort du septuaire, avant d’en arriver là.

cersei
La Marche de la Honte, V.2

Toutefois, il s’agit tout de même d’un inceste, que Richard propose, décrivant sa nièce comme « La César de César« , c’est-à-dire, la seule personne ayant conquis son cœur. Après Lady Anne. Qu’il a fait assassiner. En effet, pour tenter de rallier sa belle-sœur à sa cause, il explique qu’il a assassiné ses neveux et une bonne partie de la noblesse anglaise pour… L’amour de sa nièce.
C’est amusant, d’une certaine façon, puisque c’est ainsi qu’il s’était expliqué auprès de Lady Anne, à tel point qu’elle a chargé dans le panneau à s’en encastrer, ce qu’elle regretta amèrement lors du couronnement de Richard.

Non ? pourquoi ? Quand celui qui est aujourd’hui mon mari
vint à moi qui suivais le cercueil de Henry,
les mains à peine lavées du sang
de cet ange qui fut mon premier mari
et de ce saint mort que je suivais éplorée,
oh ! alors, quand je fus face à face avec Richard,
voici quel souhait je fis : « Sois maudit, m’écriai-je,  
pour m’avoir fait, à moi si jeune, cette vieillesse de veuve !  
quand tu te marieras, que le chagrin hante ton lit,  
et que ta femme, s’il en est une assez folle pour le devenir,  
ait plus de misères par ta vie  
que tu ne m’en as causé par la mort de mon cher seigneur ! »
Hélas ! avant que j’eusse pu répéter cette imprécation,
oui, en un temps si court, mon cœur de femme
s’était laissé grossièrement captiver par des paroles emmiellées,
et m’avait mise sous le coup de ma propre malédiction.
Depuis lors, le sommeil a été refusé à mes yeux :
jamais, dans le lit de Richard, je n’ai goûté une heure
la rosée d’or du sommeil,
sans être incessamment réveillée par des rêves effrayants.
En outre, il me hait à cause de mon père Warwick :
et, je n’en doute pas, il se débarrassera bientôt de moi

Richard a, envers les femmes, un comportement extrêmement… Bipolaire. Il se sert d’un charisme insoupçonné, pour quelqu’un d’aussi hideux, et a un véritable don, dans le maniement de la langue anglaise, présentant ses actions et ses meurtres comme une preuve d’amour envers les femmes, enracinant cette idée au point qu’on finit naturellement par le croire, tant il paraît sincère.
Pourtant, une fois que ses interlocutrices sont loin de lui, son charme se change en mépris, alors qu’il traite la Reine Elisabeth de « Folle qui fléchit ! Femme futile et changeante ! » et parlant ainsi de Lady Anne, qui vient d’accepter de mettre sa haine à son encontre de côté, elle aussi tombée dans ses rets :

A-t-on jamais courtisé une femme de cette façon ?
A-t-on jamais gagné une femme de cette façon ?
Je l’aurai, mais je ne la garderai pas longtemps

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La duplicité comme principe moral

Ce mépris peut s’expliquer par le fait qu’il n’ait pas l’apparence d’un courtisant typique : difforme, hideux, monstrueux en apparence, il est donc rejeté par les représentantes du beau sexe et développe de l’antipathie envers elles. Le masque qu’il se compose en présence de celles qu’il cherche à charmer n’est qu’une façade, quelques soit les arguments employés pour les séduire, il ne perd jamais de vue son objectif personnel. L’amour n’a pas de place dans sa vie, seule son ambition compte, peu lui chaud que son entourage meurt, (généralement, c’est sur son ordre, pour servir ses desseins personnels, alors…), peu lui importe de souiller l’honneur d’une femme, tous les moyens sont bons pour parvenir à son but.

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Plus encore, c’est avec les membres de sa famille que son comportement est sans doute le plus odieux : entre son frère George qui finit la tête dans un tonneau de malvoisie, ses neveux, derniers obstacles au trône qui périssent dans la Tour… Même sa mère ne peut que l’abreuver d’injures – avant de voir sa voix couverte par le roulement du tambour.

Celle qui aurait pu, en t’étranglant dans ses entrailles maudites, t’interdire tous les meurtres que tu as commis, misérable !

Richard joue sur tous les tableaux, use de duplicité y compris avec ses propres alliés : le duc de Buckingham (inspiré par Henry Stafford, lui aussi soutien de Richard de Gloucester) qui le soutient corps et âme, voit son souhait être proprement ignoré par son suzerain, avant d’être qualifié de « traître » par ce dernier et ultimement condamné à mort. A l’instar de Henry Stafford, qui a tenté de déposer Richard III, et s’est fait décapité le 2 novembre 1483.

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Comme vous l’avez vu, il s’agit d’un personnage somme toute assez complexe, qui, ironiquement, cherche la paix dans une Angleterre déchirée par la Guerre des Deux Roses, au sortir de la meurtrière Guerre de Cent Ans. La paix, oui, il la souhaite, mais c’est une paix qui doit rester sous son contrôle et pour cela, il se doit (selon son opinion) d’écraser les gêneurs qui sont sur son chemin, peu importe qu’il s’agissent de Lancastres ou de Yorks.
Et c’est pourquoi ce personnage est une création de génie : pour sa construction, sa psyché et ses actes, qui vit tout de même une sorte de rédemption, après la visite des spectres, se rendant compte qu’il est en réalité seul, aucun dans son entourage ne l’aime et lui-même se hait :

[…] et, si je meurs, pas une âme n’aura de pitié pour moi !…
Et pourquoi en aurait-on, puisque moi-même
je ne trouve pas en moi-même de pitié pour moi-même ?

Et rien que pour cette petite citation, Richard III est l’un des meilleures personnages créé par Shakespeare, sinon le meilleur.

Antoine Barré